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OZ - La prison pour le pire
L'enfer, ce sont les Autres, seulement les Autres, et personne d'autre. L'enfer que la série Oz a peint pendant six saisons, de 1997 à 2003 sur le HBO, est celui de l'univers de certaines institutions pénitentiaires américaines. En juin 2007, quelque 2,3 millions de personnes étaient enfermées dans les prisons américaines, soit un taux d'incarcération de 762 pour 100.000, contre 152 pour 100.000 au Royaume Uni et 91 pour 100.000 en France, selon les données du Département de la Justice.

Les Etats-Unis sont l'Etat du monde qui compte le plus de détenus devant la Chine, où les chiffres officiels parlent de 1,5 million, et ils figurent en tête du classement du taux d'incarcération devant la Russie qui a longtemps occupé cette place, avant la remise en liberté de nombreux prisonniers, notamment à partir de 1998.

La série créée par Tom Fontana, dont il a écrit la majeure partie des épisodes, constitue un plaidoyer contre le système carcéral et contre la peine de mort, ou plutôt contre les échecs flagrants de ces deux pans de la répression, malgré des expériences menées de manière ponctuelle au sein de certaines institutions. Au bout de six saisons, on fait le constat que l'internement n'est pas la solution, mais qu'en réalité il n'y a pas de bonne option de remplacement, seulement une gestion quotidienne et empirique de la violence que la prison absorbe de manière permanente et qu'elle entretient, sinon engendre.

Lorsque le gouverneur de l'Etat, James Devlin (Zeljko Ivanek), personnage caricatural, extrêmement conservateur, favorable à la peine capitale et à la répression violente, interdit la consommation de tabac et les visites conjuguales, le résultat est une émeute. La conclusion est fournie par la psychologue elle-même, Sister Peter Marie (Rita Moreno), la remise en cause d'acquis conduit au désoeuvrement et à l'ennui qui aboutissent nécessairement à la violence dans un univers clos.

Oz est le surnom donné (avec une sorte de fierté par les détenus) au Oswald State Correctionnal Facility, une institution imaginaire de haute sécurité (niveau 4), mais qui pourrait rappeler la prison d'Attica, dans l'Etat de New York, qui fut en 1971 le théâtre de très violentes émeutes. Celles-ci sont évoquées lors du dernier épisode de la saison 1 et dans le premier épisode de la saison 2. L'intervention extrêmement brutale ordonnée par le gouverneur Nelson Rockefeller avait abouti à la mort de 28 détenus et de neuf de leurs otages. Les négociations avec les détenus avaient été un temps conduites par le Directeur général des services correctionnels, Russel G. Oswald.

La suite avait été une succession de vengeances des gardiens sur les détenus et une tentative pour couvrir les exactions commises lors de la reprise en main sanglante de la prison par les forces de l'ordre. Dans la série, une commission est nommée et son président tente de mener une enquête pour prouver que l'un des gardiens a profité de la confusion générale pour assassiner l'un des émeutiers qui lui posait des problèmes. Cette tentative pour établir la vérité est évidemment contrebalancée par la volonté des autres membres de la commission de minimiser les faits répréhensibles ou, au moins, de les justifier par la violence dont les prisonniers ont fait preuve. En clair, l'usage de la force (même excessive) a été imposée par le comportement des détenus. L'argument est repris et répété pour que l'on comprenne bien son aspect caricatural. Cela manque un peu de subtilité.

La démarche du président de la commission présente d'autre part un côté angélique et peu convaincant, même s'il tente d'utiliser cette opportunité pour lancer sa carrière et briguer, lui aussi, le siège de gouverneur. Sans doute Fontana, a-t-il tenu à apporter une touche d'espoir dans un scénario où il n'y en avait pas beaucoup, sans doute a-t-il voulu montrer que la raison et le droit pouvaient encore être cités dans une situation où seuls la colère et l'épiderme parlent.

Un narrateur omniscient

L'une des originalités d'Oz est l'intervention d'un narrateur omniscient en la personne du détenu Augustus Hill (Harold Perrineau), ancien trafiquant de drogue, meurtrier d'un policier et condamné à vivre dans un fauteuil roulant. Les flics, qui ont procédé à son arrestation, l'ont balancé du toit d'une maison en apprenant la mort d'un des leurs. Hill intervient au début et à la fin de chaque épisode pour délivrer une sorte de morale ou de réflexion générale sur un thème. Il intervient également en cours d'épisode pour présenter les nouveaux détenus intégrant l'histoire et il intervient, enfin, comme personnage de détenu.

Ses interventions se font dans une cage en verre qui tourne sur elle-même et dans laquelle Hill semble confiné. Oz se passe dans une section expérimentale d'Oswald, baptisée Emerald City (Em City) où les cellules à barreaux ont été remplacées par des boîtes vitrées. Les portes s'ouvrent et se ferment de manière électromagnétique, le tout est commandé par une sorte de centre de contrôle à l'entresol, au milieu de la section. On pourrait presque se croire dans un navire spatial. Ce projet, visant à réformer (améliorer ?) les conditions de vie des détenus est défendu par son directeur Tim McManus (Terry Kinney) contre l'avis du gouverneur.

McManus est celui qui croit à l'amélioration des choses. Il est presque le seul, même le Warden Leo Glynn (Ernie Hudson) a depuis longtemps rangé dans ses placards ce genre d'optimisme. La position de McManus est le plus souvent contredite par le monologue de Hill, teinté de pessimisme et se voulant d'un réalisme sans concession. L'ennui avec ces interventions est que souvent elles sont bonnes, mais parfois, elles apparaissent pompeuses, inutiles et d'une certaine manière moralisatrices. Elles cherchent à dénoncer la morale bien pensante de ceux qui veulent confortablement ignorer ce qu'il se passe dans la prison, mais se faisant, elle s'impose elle-même comme une autre morale, plus ou moins cohérente et tentant de créer chez le spectateur une mauvaise conscience.

On atteint là la limite du procédé narratif. L'enfermement est une fonction régalienne de l'Etat, elle n'incombe pas à l'individu. Si l'Etat faillit à sa mission dans ce domaine, que doit faire l'individu ? Se mobiliser et exiger des changements. D'accord. Sa conscience lui impose. Malheureusement, cette notion de mauvaise conscience est déjà trop largement exploitée par ailleurs, à l'occasion d'autres problèmes, et la manière dont la série l'emploie ne fait que provoquer l'effet inverse à celui recherché: le rejet.

Le procès, sous une forme qui veut se rapprocher du documentaire, que dresse Oz est en grande partie à charge. Si l'on reconnaît la qualité de la série, on doit déplorer qu'elle se contente de constater, qu'elle ne propose rien et que d'une certaine manière la critique est aisée. Il n'était pas besoin d'attendre 1997 et le début de la première saison pour savoir que l'institution pénitentiaire fonctionnait mal et qu'elle ne résolvait pas le problème de la violence sociale. On savait qu'elle ne faisait que le déplacer et le concentrer ailleurs. Les émeutes d'Attica l'avaient clairement démontré dès 1971.

Au fond, le sentiment au bout de six saisons est que le débat n'a pas beaucoup avancé, que l'on peut se dire que les ajustements et les améliorations se font à la marge et qu'il n'y a pas de solutions radicales et rapides pour sortir de l'impasse. Certes, il n'est pas inutile de le rappeler, mais il n'y a rien là de nouveau, ni de révolutionnaire.

L'agneau devient loup

La véritable réussite d'Oz est de donner une part assez équilibrée aux détenus et à l'administration. Sa réussite est d'avoir compris qu'une prison fonctionne avec ses deux populations, que celles-ci entretiennent des relations quotidiennes et que la manière dont l'une agit a immédiatement des répercussions sur l'autre. L'interaction est maximale, encore plus en tenant compte de l'organisation géographique décrétée pour Emerald City. Les caractères des personnages, tant du côté administratif, que du côté des détenus sont choisis avec soin. La complexité des relations est grande même si l'équation est d'une simplicité confondante: comment vivre ensemble au quotidien ?

Le réalisme est prolongé notamment dans la répartition des détenus en dix catégories (aryens, musulmans, bikers, homosexuels, italiens, irlandais, latinos, chrétiens, voyous et autres). Ces catégories fonctionnent sous forme de clans dont les intérêts évoluent au fil du temps et obligent à passer des alliances ponctuelles avec des groupes rivaux pour le contrôle de certains avantages ou de certains traffics. La violence est omniprésente et son effet dégénérateur est illustré par la transformation de Tobias Beecher (Lee Tergesen), avocat incarcéré pour avoir tué une fillette dans un accident de la circulation alors qu'il était ivre.

Beecher est l'agneau placé au milieu de la meute des loups, il est la preuve vivante que la survie en prison exige une habitude de la violence au préalable. La prison ne rééduque pas, elle se contente de prolonger ce qui existait à l'extérieur. Pire, elle sert de centre de déformation: Beecher devient très vite un loup redouté et craint à son tour. Son affectation au milieu de criminels endurcis est en soi une critique de l'aveuglement du système dans la manière dont il fonctionne, mais elle est tout à fait réaliste.

La série ne possède toutefois pas le caractère addictif que peuvent avoir d'autres productions du HBO, et pas seulement parce qu'elle propose un aspect dérangeant, une présentation, une musique et un récit qui mettent le spectateur mal à l'aise. La chaîne câblée a bâti une partie de sa réputation sur ce choix fictionnel. Non, en fait, une fois l'effet de surprise passé, une fois que l'on a découvert Hill dans sa cage rotative qui vous donne le mal de mer, Oz se met rapidement à tourner en rond. L'histoire perd très vite de sa tension car hormis l'introduction de nouveaux personnages ou le développement d'intrigues secondaires, il n'y a rien que l'on n'ait déjà vu. En fait, la série donne beaucoup dans les deux premières saisons (violence, esclavage sexuel, torture, folie, drogue, manipulation, mensonges, etc...) et elle peine ensuite à offrir d'autres choses. Même en ajoutant la dimension religieuse ou la dimension psychologique.

D'une certaine manière, Oz est prisonnière de son parti pris de départ, et elle ne parvient jamais à s'en affranchir. Elle continue d'avancer sans dévier au risque à la longue d'inspirer la lassitude. Cela est terrible à dire, mais on s'habitue aux scènes qui sont montrées, elles nous dérangent de moins en moins. En fait, Oz aurait dû être conçue dans la brièveté, même si chaque saison ne compte que huit épisodes d'une heure. Son influence en aurait été plus grande. Son effet se dilue avec le temps. Levons, malgré tout, une ambiguité, ces reproches ne remettent pas du tout en cause ses mérites et surtout pas le fait qu'elle est ce qui a été fait de mieux dans ce domaine, sur ce sujet particulier.

Pour ceux qui veulent prolonger le sujet, voici une série de fictions écrites par Edward Bunker, ancien détenu et auteur de plusieurs romans particulièrement édifiants et en partie autobiographiques sur l'internement. Aucune bête aussi féroce. La bête contre les murs. La bête au ventre. Ils ont tous été publiés chez Rivages et se trouvent en collection de poche. Son deuxième ouvrage Animal Factory a été adapté au cinéma par Steve Buscemi.

Source: http://seriestv.blog.lemonde.fr/...