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Le sexe est-il de droite ?
J’en ai déjà parlé précédemment mais je m’inquiète régulièrement du fait qu’une frange de la population me lise avec une amertume grosse comme une citrouille, et ce à cause de la vraie fracture qui divise la France : la fracture sexuelle. Certaines personnes n’ont pas accès au sexe. Et je ne parle pas seulement des handicapés qui ont récemment fait l’actualité, mais aussi des timides compulsifs, des moches, des gens qui ont des soucis de communication, des personnalités borderline, des autruches qui décident que c’est trop compliqué pour eux…

Dans cet article, je parlerai des moches. De ceux pour qui trouver un-e partenaire est vraiment vraiment compliqué. Déjà parce que médiatiquement, nos divertissements sexuels semblent n’autoriser le sexe qu’aux gens sublimes. Ensuite parce que socialement, notre culture sexuelle discrédite d’entrée de jeu les couples désassortis (et moi la première), donc on est priés de baiser dans sa catégorie esthétique.

L’accès au sexe est injuste. C’est embêtant pour une activité traditionnellement vue comme échappant au grand capital : le plaisir se partage “naturellement” et chacun est censé trouver chaussure vaguement à son pied, ne serait-ce que par défaut (tu finis par te caser avec qui tu peux, ou alors tu fais de la télé-réalité). Idéalement, le sexe est de gauche, communiste, tout le monde aura sa part, le système ne sera pas parfait mais on peut toujours moyenner et “se rattraper”.

Sauf que déjà, se lever le matin en devant “rattraper” quelque chose que tu n’as pas choisi, comme ta gueule, c’est assez humiliant. Au moins dans la vraie vie, avec l’impôt sur la succession, on peut arrondir les injustices – prendre quelques % aux trop-bien-nés, redistribuer en allocations familiales pour ceux qui en ont besoin. Côté sex-appeal, on ne peut rien rattraper, c’est tout de suite la triple peine. Parce que même si j’adorerais me raconter que nous sommes de purs esprits flottant dans le monde des anges, le désir reste attaché au physique. On bande rarement juste sur un sens de l’humour ou juste sur un doctorat.

Si tu es beau/belle, tu n’as aucun mérite (et tu voudras bien t’en rappeler le matin avant de pleurer sur ton demi-complexe), et si tu es peu moche, aucune force de travail ne pourra changer ta situation. Enfin si. Mais à condition que cette force de travail se soit changée en thune. Parce que pour égaliser le sexe, pour que le système fonctionne, il ne reste que la thune, la thune, la thune :
  • si tu es un homme riche, tu pourras peut-être pécho une femme suffisamment belle pour que ta progéniture échappe à ton sort et à tes grandes oreilles. Mais je me demande toujours si ces mecs qui ont “acheté” leur copine arrivent à vraiment croire dans leur relation.
  • si tu es une femme riche, on te recommandera naturellement la chirurgie esthétique. Mais je me demande comment on vit dans un corps qui n’est pas le sien, comment on vit l’humiliation d’avoir dû changer de visage pour être acceptée.


(Vous pouvez intervertir les hommes et les femmes : je me contente de poser ici les cas le plus flagrants, ce n’est pas une règle, tu peux aussi être une femme et aller te payer des jeunots en République Dominicaine.)

Quand on n’a pas la thune nécessaire pour réparer durablement sa donne initiale, il reste l’assistanat social du sexe : la prostitution. Ah oui, tiens, encore de l’argent. On sent bien la crise passer, quand même. On sent le poids de l’économie sur la sexualité, des hippies au monde sexuel ultra-capitaliste décrit par Houellebecq. Mais je ne vois vraiment pas comment réparer l’injustice qui consiste à naître plus ou moins dans les standards de beauté. On peut imaginer que dans le futur, la manipulation génétique permettra de nous cloner gentiment, à quelques variations près, et qu’il sera temps de chercher l’âme-soeur uniquement en fonction de son âme. En attendant, je continue d’écrire sur un sujet excluant, un plaisir posé en équilibre sur une bulle de rapports humains violents. Sérieux, on ne se pardonne rien.

Dans les faits, l’ascenseur sexuel fonctionne encore moins bien que l’ascenseur social. (Sauf après quelques verres, et notre rapport à l’alcoolisme “de drague” reste sans doute le dernier espace de hasard et de liberté dans le choix de nos partenaires. Hips.)

Source: http://www.sexactu.com/...