Les journées mondiales de quelquechose se succèdent et sont plus absurdes les unes que les autres.
La dernière semaine d'avril, par exemple, a vu se succéder les journées mondiales du livre et du droit d'auteur (le 23), de prière pour les vocations, de la danse (le 29), de la sécurité et de la santé au travail (le 28), une bataille entre la Journée mondiale de la photographie au sténopé et la journée mondiale de la propriété intellectuelle. L'annonce de la journée internationale de la carotte ou du jambonneau est presque devenue aussi courante que la révélation du Saint du jour à la fin du bulletin météo. Mais pourquoi donc autant de journées de ci ou de ça, et surtout, qui se cache derrière le complot international de la journée mondiale?
Vous, moi, le Pape et l'ONU
«Le problème des journées mondiales, c'est qu'elles ne sont pas décidées par une organisation centralisée», explique Vincent Tondeux, directeur d'une web agency et créateur du site journée-mondiale.com qui tente de les répertorier. «Si vous le voulez, demain vous pouvez vous lever et déclarer que c'est la journée mondiale des Slate!».
Parmi les 190 journées — soit plus de la moitié de l'année — recensées pour l'instant sur le site, j'ai dressé une typologie des organisateurs: à la première place niveau légitimité et reconnaissance internationale, l'ONU et ses agences (Unesco, OMS, PNUE...). Viennent ensuite des journées déclarées par des Eglises, des ONG, des associations, des syndicats professionnels, ou juste des gens qui aiment le tricot et jouir.
Pas de directives officielles
Prenons les Nations Unies, qui à elles seules ont proclamé 90 journées mondiales/universelles/internationales. L'ONU et ses agences dégainent les journées, mais il n'existe pas de directive officielle sur le sujet. D'ailleurs, si le département de communication tient à jour la liste des journées, il n'y a pas de bureau qui les coordonne. Celles acceptées et gérées par l'ONU doivent être votées par l'Assemblée Générale des Nations Unies, mais toutes les agences intergouvernementales peuvent également proclamer leurs propres journées mondiales, et demander ensuite si elles le souhaitent le soutien officiel de l'ONU à l'Assemblée générale. La journée mondiale de la philosophie est par exemple une journée de l'Unesco reconnue par les Nations Unies, tandis que la journée mondiale des droits de l'Homme est gérée par l'ONU.
Les idées sont proposées par des Etats Membres de l'ONU ou par des agences, ou encore par des ONG qui font du lobbying auprès de l'ONU. L'Unesco a ainsi démarché l'ONU pour la journée de la liberté de la presse, tandis que l'année internationale de l'astronomie a été suggérée par l'Union Astronomique Internationale.
Juillet meilleur qu'octobre
Dans tous les cas, l'ONU conseille de prendre en compte le calendrier déjà saturé avant de proclamer une nouvelle journée. Le choix de la date onusienne se fait le plus souvent en fonction d'un événement historique représentatif. Par exemple la journée internationale de commémoration des victimes de l'holocauste a lieu le 27 janvier, date de la libération du camp d'Auschwitz.
Les journées mondiales font parler d'elles en fonction de la notoriété des organisateurs, de leur budget, des moyens de communication, et de la cause même. Autant dire que la journée mondiale des secrétaires et assistantes de direction n'avait pas beaucoup de chance de connaître la gloire en se déroulant à la même date, le 22 avril, que la journée de la Terre. Il s'agit donc déjà de bien choisir son jour. Sauf qu'il n'y a pas plus de calendrier officiel des journées mondiales que d'organisation toute-puissante qui les décide.
Du coup, c'est le règne d'une incroyable anarchie. Et d'une sélection impitoyable qui se fait dans les mois, avec entre 2 et 4 journées mondiales en juillet selon les sources (journée-mondiale.com, la page wikipedia en français et la page wikipedia en anglais) contre 35 en octobre. Le combat est sans merci le 21 mars où se disputent déjà la journée du sommeil, de la trisomie 21, de la poésie, et de l'élimination des discriminations raciales.
La guerre du calendrier
L'ONU conseille de ne proclamer une journée, une semaine ou une année mondiale que pour attirer l'attention sur des enjeux internationaux majeurs. En sachant que 2008 était l'année de la pomme de terre, je suis restée dubitative. Sauf que «la patate c'est drôle, mais ça a aussi joué un rôle très important dans l'histoire de l'humanité», m'a rappelé Sue Williams, de l'UNESCO.
En attendant, si la journée n'est pas proclamée par un organisme qui a suffisamment de moyens pour élaborer une stratégie de communication internationale, mieux vaut un thème porteur pour réussir à attirer l'attention des médias. Le problème avec les thèmes porteurs, c'est qu'ils sont portés par tout le monde. C'est ainsi que cohabitent deux journées mondiales de la paix: une 1er janvier, organisée par le Vatican, et une le 21 septembre, proclamée par l'ONU en 1981. Ou plus couramment, avec des journées, des mois ou des années internationales en concurrence: 2009 est ainsi l'année de la réconciliation, de l'astronomie, et des fibres naturelles...