UN PEU DE TOUT... BEAUCOUP DE RIEN
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Dexter - Le code et la vengeance
Dans son ouvrage Philosophie en Séries, Thibaut de Saint-Maurice consacre une longue explication à Dexter. S'appuyant sur des travaux d'Emmanuel Levinas, il montre comment la fiction de James Manos Jr., loin d'être une simple application de la loi du talion est en fait une démonstration de l'inefficacité de la peine de mort à résoudre la violence.

En clair, appliquer une punition dont la violence est égale de celle du crime ne fait pas disparaître cette violence car la punition n'apporte pas de solution. Elle ne rétablit ni l'ordre qui a été troublé par l'infraction, ni n'ouvre une voie vers une société moins violente. Au contraire. Comme l'explique Lévinas, pour être efficace, la sanction ne peut qu'être plus douce que le crime. Mais, sans nier une utilité à la justice, le philosophe reconnaît que celle-ci ne pourrait jamais atteindre son but (aller vers moins de violence). Il est sans doute trop tard, par le seul fait que la violence est déjà existante.

Ce qui sauvait Dexter (d'un point de vue moral) jusqu'à la quatrième saison est qu'il a (presque) toujours agi en suivant le code d'Harry, personnage qui l'accompagne et lui prodigue des conseils, qui tente de donner un sens et de fonder son comportement sur une raison (on pourrait dire sur une illusion): la tentative de rétablir l'équilibre rompu.

La saison 4, nous l'avions dit, aboutissait à fermer la boucle narrative. Elle constituait la fin d'un cycle tout en laissant présager le suivant, dans un avenir lointain. Lorsque Harrison serait grand. Entamer une cinquième saison signifiait une rupture avec les critères qui prévalaient jusqu'à présent. Et c'est certainement cela qui me gêne le plus dans ce chapitre, au-delà de l'aventure cousue de fil blanc, de la romance entre Dexter et Lumen et du groupe de copains meurtriers en série qui est tout sauf originale (pas mal de romans policiers ont exploité cette idée).

L'entrée en action de Lumen modifie définitivement la donne. Elle se substitue temporairement à Dexter, elle achève avec son aide et son approbation l'"oeuvre" qu'il a entamée et dont il n'imaginait pas l'étendue lorsqu'il exécute le premier des meurtriers. Dès le départ, il commence à enfreindre le code de Harry. Ce dernier disparaît totalement après quelques épisodes, sa voix ne se fait plus entendre. Elle est remplacée par l'irruption de la vengeance. La raison, ou la justification qui tentait de soutenir les actes de Dexter, est balayée au profit d'un besoin irrationnel: tuer soi-même pour effacer le crime dont on a été victime.

A ce point apparaît une ambiguité: lorsque Lumen finit par tuer Jordan Chase, elle retrouve la paix. Cela est dit sans l'ombre d'un doute. "When I saw Jordan Chase's body disappearing into the ocean, something happened. And all night, I was trying to figure out what was happening, and I tried to hold on to it. But this morning, I... I could tell it was gone. I don't feel it anymore". Dexter confirme: "Her dark passenger. It's vanished". Il est difficile d'interpréter ce passage autrement que comme: la vengeance apporte la paix et rétablit l'équilibre détruit par le crime.

Et comme pour mieux encore enfoncer le clou, Lumen explique à Dexter qu'elle n'est pas une tueuse en série, qu'elle n'a jamais eu cela en elle. Que le désir de tuer et la possibilité de passer à l'acte sont uniquement dûs au crime dont elle a été victime. Etant vengée, elle ne peut pas rester avec lui car il est différent, il ne trouvera jamais l'équilibre, ni la paix. "Lumen said I gave her her life back, a reversal of my usual role. Well, the fact is, she gave me mine back too. And I'm left not with what she took from me but with what she brought. Eyes that saw me, finally, for who I really am. While she was here, she made me think, for the briefest moment, that I might even have a chance to be human.".

Dexter a pu enfin apparaître à quelqu'un d'autre que Harry pour ce qu'il était réellement. Mais ce retrait du masque n'a étérendu possible qu'en raison d'un besoin de vengeance né d'un crime. Et la vengeance trouve ici une seconde utilité: comme le dit Dexter lui-même, Lumen lui a rendu la vie. Le prénom de la jeune femme n'a pas été choisi au hasard puisqu'en latin, il signifie la lumière.

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais cette présentation salvatrice de la vengeance me gêne réellement. Ou alors, les scénaristes ont voulu vraiment faire apparaître leur héros sous un jour particulièrement négatif, son dysfonctionnement pouvant inspirer d'autres humains, au moins temporairement. Cela dit, il n'a jamais été très positif.

A moins qu'ils n'aient pas eu le choix. Dexter est depuis le début un personnage improbable, il est plus une métaphore qu'un individu de chair et de sang, une petite voix que nous avons tous dans la tête plus qu'un justicier. En abandonnant le code d'Harry, il devient un meurtrier ordinaire, un meurtrier pour lequel on n'a plus envie de trembler, dont on ne craint plus qu'il se fasse prendre. On en vient même à le souhaiter.