Une forme de mélange des genres et de recyclage des idées. Employer un peu de tout pour essayer de confectionner autre chose. C'est le sentiment que laissent les trois premières heures de Caprica, série qui succède à Battlestar Galactica (achevée en 2009) mais qui la précède dans la chronologie des événements. L'histoire se situe un peu plus d'un demi-siècle avant le chaos qui précipitera les humains dans l'errance spatiale et la guerre contre les Cylons.
Le moins que l'on puisse dire est que Ronald D. Moore et Remi Aubuchon ont voulu mener à bien un projet ambitieux, tant du point de vue de l'esthétique de l'image (très cinématographique) que des interrogations philosophiques. Ils ont déployé bien des efforts en cherchant l'innovation, et pourtant on ne parvient pas à se débarrasser d'une impression de déjà vu. Autour d'une trame qui est l'apparition (et l'on suppose l'émancipation) des robots, viennent s'enrouler une série d'histoires secondaires, parallèles et plutôt bien campées. On sent un évident savoir-faire et surtout un gros souci de réflexion, au point que par instants, on a presque l'impression de voir les scénaristes penser sur l'écran.
Se mêlent, un fait de terrorisme (pas très original, mais comme le démontre 24, le sujet reste vendeur), une sorte de thriller à la Damages (avec la relation entre le camp Adama et la famille Graystone), un récit d'anticipation (pas un space opera à la BSG mais un dégagement sur les dangers funestes du progrès scientifique, là encore pas très nouveau), des tribulations d'adolescents, et également une petite étude de moeurs avec Soeur Clarisse, directrice d'école polygame, (on songe à Big Love), sans parler des tenues vestimentaires (pardessus et chapeau feutre) qui rappellent bigrement certains films noirs de l'après-guerre. On peut également imaginer que la série pourrait se doubler d'un jeu en réalité alternée sur internet (façon Lost), puisque Zoe Graystone et son amie Lacy sont des adeptes du monde virtuel où s'est créé l'ordre des Soldiers of the One, responsable de l'attentat meurtrier qui met en branle tout le processus narratif.
Le sentiment est que les scénaristes, tout en prenant une très nette distance avec BSG, n'ont voulu se fermer aucune porte, ou plutôt qu'ils en ont ouvert le plus grand nombre possible. Quitte à ne pas vraiment trouver un ton original (à moins que celui-ci naisse de cette agrégation des genres ?) et une voie. Une certitude est que deux grands axes organisent le récit. Le premier est celui de la rivalité annoncée entre Dan Graystone, scientifique fortuné et influent, homme d'affaires et propriétaire d'une équipe de sport, et Joseph Adama, avocat et père de Bill, futur amiral du Galactica. Les deux hommes ont en commun d'avoir perdu leur fille dans l'attentat à la bombe et les deux ont en commun le désir violent de la retrouver. Pour ce faire, Graystone n'hésite pas à avoir recours aux services d'Adama dont le frère vole un processeur capable de contenir l'avatar de Zoe dans l'univers des Soldiers of the One.
Le second grand axe est celui de la religion, qui avait été abondamment exploré dans Battlestar Galactica, notamment au travers du personnage de Gaïus Baltar, mais aussi des revendications monothéistes des Cylons. On peut d'ailleurs supposer que ce culte naît dans les premiers épisodes de Caprica. Ainsi, avec la disparition tragique de Zoe et sa résurrection (l'épisode 2 s'intitule Rebirth), provoquée par son père, apparaît une sorte de trinité. Il y a Zoe, elle-même, son avatar et sa nouvelle enveloppe corporelle, première incarnation d'une longue série de grille-pain. Lors d'une scène entre les deux amies, Zoe (un coup cylon, un coup avatar) s'interroge sur sa nouvelle identité et Lacy met les choses au clair: "Trinity, that’s what you are. Three faces of one thing."
Ce début remplit parfaitement son office en posant clairement les enjeux, en jetant les bases des développements futurs, en établissant les relations entre les personnages et en laissant déjà entrevoir des suites possibles, tout en commençant à poser des questions. De ce point de vue, le scénario est efficace ou tout du moins parfaitement maîtrisé. S'ajoutent à cela des fins d'épisodes soigneusement estampillées suspense. Mais n'est-ce pas la loi du genre ?
On sent également que Moore et Aubuchon ont souhaité nous placer face à toute une batterie de réflexions plus ou moins philosophiques ayant trait à la condition humaine, à la religion et à la situation du monde actuel et à ses évolutions. Ces réflexions ont déjà été explorées de nombreuses fois dans les séries TV et il n'y a pas grand-chose de nouveau dans le traitement, y compris pour la question du terrorisme qui repose toujours sur l'idée d'une menace infiltrée et insoupçonnable. D'autre part, ces interrogations ont été fournies en grand nombre en peu de temps, comme s'ils fallaient caser au plus vite les lignes de dialogue.
Une chose est claire, Caprica réussit en moins de trois heures à construire un univers en soi, largement indépendant de celui de Battlestar Galactica. BSG reposait sur des archétypes que l'on pouvait considérer comme "masculins" avec la guerre, les luttes de pouvoir, la résistance. Caprica repose sur des archétypes que l'on peut considérer comme "féminins" avec la famille et l'adolescence. A noter l'excellente performance d'Eric Stoltz (en père ravagé par le chagrin) et d'Esai Morales (en homme fier de son nom et ambitieux). Les adeptes de Battlestar seront certainement dépaysés. Malgré d'évidentes qualités, la série laisse une étrange impression de malaise face à l'univers ainsi créé. Comme un monde finalement pas si lointain et que l'on n'a surtout pas envie de connaître. Et qui ne parvient pas à inspirer l'engouement.
Enfin, une petite faiblesse est à signaler. Ce n'est pas tant que les problèmes posés manquent d'intérêt (à défaut d'être nouveaux), bien au contraire. C'est la manière dont ils sont posés qui manque singulièrement de subtilité. L'impression est que chaque thème (en particulier celui de la virtualité) est souligné avec deux traits de crayon rouge pour que l'on réussisse à l'identifier correctement et pour que l'on se penche dessus. Comme si les scénaristes avaient eu peur du sous-texte et qu'ils s'étaient contentés d'un avatar de série.