A nous faire rêver d’un monde dans lequel tous les êtres seraient à notre disposition. Un monde peuplé de femmes en rut et d’hommes en érection, corvéables à merci. L’objectif du porno est celui du corps (féminin, masculin) mis en libre-service. Faut-il en déduire que le porno vise à nous «dégrader» ?
«Le cinéma X dévalorise la femme». Il y aurait beaucoup de choses à dire sur le présupposé implicite sur lequel repose ce genre d’argument. Dénigrant au spectateur toute forme de jugement, les censeurs ont toujours voulu décider à la place des autres de ce qui était bon et pas bon pour eux. Il ne serait donc pas bon de voir des corps humains qui s’offrent gratuitement? Mercredi 18 mai, une journée d'étude rassemblant des chercheurs, des historiens et des militants consacrera plusieurs conférences et colloques à la question de savoir dans quelle mesure la pornographie est une "contre-culture". A-t-elle un potentiel séditieux? Ou au contraire rétrograde? Pourquoi est-elle en butte constante aux censures et aux répressions ?
La définition du X repose entièrement sur le principe du corps qui se livre. Ou qu’on force à se livrer. Dans Le Cinéma X (éditions la Musardine), Gérard Lenne analyse d’une façon magistrale l’idée de la transgression pornographique: cette transgression ne se situe pas dans l’exhibition de corps nus qui s’entre-pénètrent, explique-t-il. Cela fait longtemps qu’on ne sursaute plus à la vue d’un téton, ni même d’une fellation aussi juteuse soit-elle. La transgression du X se situe ailleurs, dit Gérard Lenne: elle se trouve dans l’idée du don. «Le besoin, par définition insatiable, de transgression est le paradoxe fondamental du spectacle X puisque celui-ci se déroule forcément dans un monde merveilleux. Un monde peuplé de femmes qui sont toutes jeunes, jolies, sexy, libérées, disponibles, perpétuellement avides de sexe. Un monde où les partenaires des deux sexes sont toujours consentants (même s’ils font parfois semblant que non, nda), toujours performants. Un monde où jamais aucun obstacle ne vient jamais entraver la célébration immédiate et sans condition du plaisir!».
Là est le scandale. Comment est-il possible de mettre en scène le don sans limite, de sa bouche, de ses fesses et de ses orifices dans une société qui s’est bâtie sur l’idée qu’il fallait souffrir (qu'il fallait littéralement "payer" suivant l'équation puritaine argent=souffrance) pour obtenir ce qu’on voulait ? La transgression du X c’est de montrer un monde dans lequel la satisfaction sexuelle est à portée de main. Ce que le critique Gérard Leblanc résume parfaitement : «Le genre pornographique joue sur l’entre-deux de la liberté (au plan de l’image) et de la répression (dans la réalité). Il s’agit pour lui de montrer non pas des gestes interdits (la loi n’interdit pas les rapports sexuels), mais qu’il est possible d’imposer de tels gestes à qui l’on désire, en toutes circonstances. Il donne à rêver au spectateur des situations où les gestes tarifés de la prostitution pourraient être imposés gratuitement à n’importe quelle femme. L’objectif visé est celui du corps féminin en libre service.» (1). Et du corps masculin, si Gérard Blanc me permet ce rajout.
Là se trouve le scandale: le X propose du sexe librement et gratuitement offert, par procuration… En regardant un film X, le spectateur se met dans la peau d’un homme qui pourrait lui aussi faire l’amour avec celle qu’il voit à l’écran. Cela est-il condamnable? Si oui, pourquoi? Le cinéma X offre une fiction. Et cette fiction a valeur masturbatoire. On pourrait dire la même chose des comédies romantiques: elles nous font rêver. Ou des films d’aventure qui nous font vivre des histoires incroyables dans des pays exotiques. Est-il condamnable de se laisser porter par l’image?
Jusque dans les années 70, les législateurs exerçaient leur censure sous prétexte que la représentation de corps sexués pouvait «choquer les m½urs». Comme la notion de «moeurs» est un peu éculée, la plupart d’entre eux, maintenant, brandissent un argument féministe: jugeant que les films X montrent des femmes réduites à l’état d’objets sexuels les voilà tout scandalisés (2). «Le cinéma X fait du tort aux femmes car il en propose une image profondément sexiste» expliquent-ils, partant du principe que le téléspectateur -jugé irresponsable, immature, voire stupide– n’est pas capable de voir que le porno est un cinéma de fiction qui possède, tout comme le western ou le peplum ses codes et ses figures de style… L’hypothèse selon laquelle le cinéma X pourrait influencer les spectateurs, en les poussant à croire que ce qu’il voient est VRAI, ne repose sur aucune étude. Aurait-on observé une augmentation de viols et d’agressions sexuelles dans les pays qui autorisaient la diffusion de films pornographiques? Pas à ma connaissance. De la même façon personne ne semble jusqu’ici être parvenu à prouver que les images violentes génèrent de la violence.
Lorsqu’un spectateur voit une femme se faire prendre par deux ou trois hardeurs à la chaîne, en déduit-il que le message implicite du film («C’est facile de faire l’amour aux femmes, il suffit de bander pour elles») s’applique à toutes les femmes? Oui, c’est vrai le porno imite souvent le style documentaire. Oui, les actrices (ou les acteurs de porno gay) se font pénétrer sans trucage. Mais de là à penser qu’ils/elles se feraient ainsi pénétrer par le premier venu… Il n’y a probablement que les hommes élevés dans le mépris de la femme (ou des homosexuels) pour visionner des films X au premier degré et pour les lire non pas comme des mises en scène du don, mais comme des preuves accablantes que les femmes (ou les homosexuels) sont des salopes. Hélas, ce n'est pas vrai.
Hélas, dans la réalité, il y a des notes à payer, des enfants à nourrir et du lait sur le feu, bref toutes sortes de soucis qui nous empêchent d'être des bêtes de sexe comme au cinéma…