UN PEU DE TOUT... BEAUCOUP DE RIEN
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Le tetrapharmakon
Les dieux ne sont pas à craindre, première chose. Si tout est matière et si les dieux existent, et Épicure nous dit qu'ils existent, alors les dieux sont matériels. Alors il nous dit : voilà il y a ce monde, mais il y a d'autres mondes et puis il y a une multiplicité de mondes. Et il y a donc des inter-mondes, entre les mondes, et s’il y a des inter-mondes, eh bien dans les inter-mondes vous avez des dieux et les dieux sont constitués aussi de matière. Donc on est avant le monothéisme chrétien évidemment, et on est dans une logique totalement polythéiste ; les dieux sont divers et multiples, ils existent, ils sont matériels mais faits d'une matière extrêmement subtile, d’atomes extrêmement subtils, parce qu'il y a des atomes divers, multiples, je vous le disais tout à l'heure, d'où les atomes crochus, les atomes qui s'accrochent, les atomes qui ne s'accrochent pas. Quand vous dites de quelqu'un : je peux pas le piffrer, avec le pif, je peux pas le blairer, je peux pas le sentir, eh bien ça procède de l'histoire des simulacres, c'est-à-dire que les simulacres qu'il dégage, ça ne veut pas dire qu'il sent mauvais, mais je veux dire que les simulacres qu'il dégage entrent en relation avec vous et les atomes ne sont pas crochus, ça ne se passe pas bien, ça ne s'accroche pas. En revanche si vous avez des atomes crochus avec quelqu'un c'est parce que les simulacres vous ont rendu possible la communication et la communauté avec un être. Donc ces atomes hyper subtils, hyper éthérés, eh bien ils sont constitutifs des dieux qui ne s'occupent pas de nous ; eux ils sont vraiment dans une telle jubilation là où ils se trouvent qu’ils n'ont rien à faire des hommes et de ce que font les hommes. Donc évidemment pas de culpabilité, pas d'inquiétude, vous pouvez faire ce que vous voulez, les dieux ne vont pas vous punir, il n'y a aucun intérêt ; les dieux n'ont aucun souci de vous et de toutes façons après la mort il n'y a rien ; il y a juste le réagencement de votre matière, il n'y a aucune raison pour que les dieux se soucient de votre réagencement de matière puisqu’ils étaient peu soucieux déjà de votre matière agencée avant la mort. Ils ont vraiment autre chose à faire que de s'occuper de ce qui vous arrive après la mort puisqu'avant même la mort ça ne les souciait pas du tout. Donc les dieux ne sont pas à craindre, ils sont dans les inter-mondes, ils sont constitués d'une matière subtile et il suffit pour nous de les imiter. Si vous voulez le bonheur, si vous voulez le plaisir, nous dit Épicure, il faut vivre pareils à des dieux, semblables à des dieux, c'est-à-dire impassibles, dans l'impassibilité. C’est la logique des gamins à qui vous mettez une gifle et qui vous disent : même pas mal ! Sauf que c'est pas vrai ! Mais un sage est quelqu'un qui vous dira : même pas mal et qui n'aura pas mal, puisqu’il doit être effectivement insensible aux effets du mal, de la douleur, de la souffrance, de la négativité ou de la méchanceté ; ça c'est la sagesse, se dire : ça ne me concerne pas, parce que les dieux ne sont pas concernés par toutes ces choses là, ils vivent dans ces inter-mondes avec ce qu'il appelle une ataraxie - une absence de troubles telle qu’ils doivent nous fournir un idéal, un modèle, une idée de la raison, aurait dit Kant. Il faut nous dire : c'est à ça que je dois ressembler.

Deuxième chose : la mort n'est pas à craindre ; je vous ai expliqué tout à l'heure qu’il y a eu une époque où avant l'agencement que vous étiez eh bien les atomes qui vous constituaient existaient. Il y aura une époque où après l'agencement qui vous constitue, eh bien les atomes continueront, sauf qu’il y a un moment qui est celui de l'agencement particulier qui est vous et personne d'autre, eh bien la vie c'est ça, c'est-à-dire qu’avant il y avait une vie, pendant il y a une vie, après il y a une vie aussi, mais votre vie, eh bien c'est la modalité prise par l'agencement des atomes qui vous constituent. C'est-à-dire que quand vous êtes mort, l'agencement meurt bien sûr, mais les atomes continuent. On pourrait dire à Épicure, c'est fort sympathique d'être immortel sous la forme d'un pissenlit, mais ça peut ne pas convaincre tout le monde. Il nous dit qu’il y a une immortalité atomique ; les atomes qui vous constituent, ils étaient là avant vous, ils continueront après vous, et ça devrait vous réjouir ; j'espère que ça vous réjouit d'ailleurs ! Il nous dit aussi, et ça c'est plus intéressant je veux dire comme type d'argument, que la mort n'est pas à craindre, que finalement, la mort n'est pas un problème, il nous dit : si vous êtes là, la mort n'y est pas, si vous n'y êtes plus, la mort n'est pas là, donc ça ne nous concerne jamais. Soit vous êtes là et elle n'est pas là, soit elle est là et vous n'êtes plus là, donc en fait le problème ce n'est pas la mort, c'est d'avoir à mourir, c'est la crainte de la mort, ce sont les représentations de la mort. Mourir c'est facile, dit Épicure, ce n'est pas bien compliqué, je dis bien « mourir » je ne dis pas « souffrir » et puis être dans l'agonie, ce qui n'est pas exactement la même chose. La mort est un moment facile, dit Épicure, ça passe assez rapidement, c'est rapidement fait et donc ce à quoi il faut penser c'est à la crainte de la mort. Nous avons peur de la mort, mais la mort en tant que telle elle n'est rien ; donc travaillons sur nos représentations. Il faut nous dire qu’effectivement si nous sommes là et que la mort n'y est pas, eh bien profitons de l'instant présent ; ça va donner le « carpe diem » d’Horace, le « cueille aujourd'hui les roses de la vie », c'est-à-dire : occupe-toi tout de suite déjà, n'aie pas le souci de demain, bien sûr que tu vas mourir, bien sûr que tu vas vieillir, bien sûr que tu vas souffrir mais ce n'est pas le cas, ce n'est pas tout de suite, ce sera bien assez tôt et quand ça arrivera tu t'en occuperas, mais pour l'instant occupe-toi de vivre, n'oublie pas de vivre, disait Goethe, en reprenant ainsi une idée chère aux épicuriens et précisément à Horace qu'il aimait beaucoup. Donc c’est là cette idée de l'apprivoisement de la mort, en se disant que la mort est moins un problème que l'idée que nous nous faisons de la mort ; et si nous travaillons sur cette idée de la mort en nous disant : je ne vais pas me gâcher l'instant présent par le futur qui est effectivement un futur de mort qui arrivera à l'évidence ; mais nous n'en sommes pas là, pas encore. Donc si on doit mourir, eh bien le jour où ça nous arrivera, il sera bien assez tôt de nous en occuper. Cicéron le disait : « philosopher c'est apprendre à mourir ». Si vous avez bien vécu, pas forcément en goinfre et de manière orgiaque, enfin ça ne s'exclut pas, mais si vous avez bien vécu vous ne craindrez rien, ce sera plus facile si la vie a été pleine, riche et dense ; eh bien on a compris que la mort faisait partie de la vie, c'est un passage, c'est un moment, ce n'est pas un passage vers une autre vie, pas un passage vers un type d'immortalité particulier, non, c'est un passage vers un autre état atomique dont nous n'avons rien à craindre.

Troisième chose : la souffrance est supportable. Alors à l'époque on n'est pas dans la logique des antalgiques, des analgésiques, ou de toute la médication qui permet de dire : oh la la, je ne vais pas bien, un petit cachet, un demi tube ou enfin tout ce qui fait que la plupart du temps on règle moins ses problèmes qu'on ne demande à une substance de régler les problèmes pour nous ; ça peut être aussi un litre de vin ou un pétard ; on peut aussi demander à une substance de régler des problèmes qu'il nous faudrait quant à nous régler. Il y a une souffrance physique, il y a des souffrances psychiques ; la souffrance psychique est facile à travailler, nous dit Épicure, puisqu’on peut voir de quoi on souffre ; on souffre de la peur de la mort qui est la peur essentielle, nous dit Épicure. Je vous ai dit tout à l'heure qu'on pouvait lutter contre elle, et puis on peut aussi parler de la souffrance physique, c'est la sienne, maladie de la pierre, avec des coliques néphrétiques, avec des douleurs semble-t-il considérables. Eh bien vous vous dites comme Épicure : ce n'est pas compliqué, si ça ne m'emporte pas, si ça ne me tue pas, c'est que c'est supportable ; et puis si ça me tue ,ben c'est que ce n'était plus supportable. Donc la douleur c'est clair, ou vous la supportez parce qu'elle ne vous tue pas ou c'est vraiment une vraie douleur et on n'en parle pas longtemps parce qu’elle vous emporte et l'affaire est finie. De fait il faut faire avec la souffrance, vous n'avez pas le choix ; à l'époque on ne peut pas vous opérer, on ne peut pas vous soigner, et les trois-quarts de la médecine ou les quatre-quarts relèvent de la pensée magique, un peu comme aujourd'hui d'ailleurs, enfin bon, mais aujourd'hui on a le prétexte de la science, la pensée magique elle a une blouse blanche, elle a des noms scientifiques qui font, enfin bon, on en parlera un petit peu plus tard peut-être, mais je veux dire le rapport à la souffrance n'est pas le même à l'époque. Et Épicure nous dit qu’il faut apprendre à souffrir : la souffrance est facile à supporter puisque je vous le disais tout à l'heure, quand elle est vraiment considérable elle nous emporte et autrement eh bien on peut travailler sur ses représentations, c'est le propre même du travail des philosophes.

Et puis le bonheur est possible et c'est ce pourquoi il a laissé plutôt un nom dans l'histoire des idées notre ami Épicure ; il nous dit : ça se construit le bonheur, ça se construit par ce que j'appelle une diététique des désirs. Épicure nous dit qu’il faut travailler sur ses désirs. Le riche est celui qui désire toujours plus qu'il ne peut satisfaire. Il y a parfois des riches qui sont pauvres ou des pauvres qui sont riches ; en ce sens, il faut donc travailler sur ses désirs : moins vous désirez, plus vous êtes libres et plus vous réduisez vos désirs, plus vous construisez votre liberté. Épicure nous dit que les désirs, c'est très simple ; ils sont « naturels et nécessaires, naturels et non nécessaires, non naturels et non nécessaires ». Désirs naturels et nécessaires, c'est simple : boire quand on a soif, manger quand on a faim, parce que c'est commun aux animaux, voilà, c'est naturel, et c'est nécessaire parce que si on ne satisfait pas ces désirs-là eh bien on en meurt. La sexualité – il n'avait pas lu Freud, évidemment, et pour cause – la sexualité c'est un désir naturel, c'est commun aux animaux, mais non nécessaire nous dit-il, on peut s'en passer et certains le prouvent, j'ai des noms ! Donc il dit passez-vous des désirs naturels et non nécessaires parce que c'est beaucoup d'ennuis, c'est vraiment très peu de plaisir pour beaucoup de problèmes ; vous allez vous retrouver marié, père de famille… pour une toute petite jouissance de rien du tout vous aurez des emmerdes toute votre existence ! Alors Épicure nous dit : faites un travail sur le coût du plaisir ; parfois il vaut mieux renoncer à un plaisir extrêmement coûteux, la famille par exemple, parce qu’évidemment on se privera d'un plaisir, mais quel plaisir il y a à ne pas être emmerdé par une femme, des enfants, un divorce, des pensions alimentaires et toutes choses que connaissent nombre de personnes. Donc désirs naturels et nécessaires on y obéit, désirs naturels et non nécessaires on n'y obéit pas. Et alors il y a des désirs non naturels et non nécessaires qu'on ne trouve que chez les animaux et alors ceux-là il ne faut pas du tout y obéir parce que ça n'a aucun intérêt. Par exemple, être président d'université, être maire de son village, avoir la Légion d'honneur, vouloir beaucoup d'argent, avoir un cabriolet, etc., etc., enfin mille choses qui font qu’on est dans la logique de l'avoir, dans la logique de l'apparence, dans la logique de la frime ou ce genre de choses. Épicure dit : vous allez perdre un temps fou à vouloir satisfaire des désirs non naturels et non nécessaires et ces désirs-là par définition ils ne vous donneront que des plaisirs courts, brefs, pas très intenses et pas très intéressants, et en plus après ça il faudra recommencer. Quand vous aurez une maîtresse il vous en faudra deux, quand vous aurez un poste de maire vous voudrez celui de président de la communauté de communes, quand vous serez président de la République vous voudrez être président de l'Europe, etc., enfin donc arrêtez vos désirs – j'ai parlé de personne hein, j'ai pas donné de nom ! – Épicure nous dit que lorsqu’on a fait ce travail sur les désirs, qu’on a fait cette diététique des désirs, qu’on a compris que le plaisir était dans la seule satisfaction des désirs naturels et nécessaires, eh bien le plaisir est dans la seule satisfaction des désirs naturels et nécessaires. Vous voyez qu’on est dans une définition du plaisir qui est extrêmement précise et que c'est quand même assez restrictif ; si vous dites – si je me souviens bien – boire quand on a soif, manger quand on a faim et vous vous dites ah c'est vrai il n'y a rien de mieux qu'un Sauternes millésimé avec une tranche de foie gras, Épicure vous dira : pas du tout, pas du tout, parce que ça c'est non nécessaire. Une bouteille d'eau – celle-ci - et puis un petit morceau de pain, nous dit Épicure, et ça c'est suffisant ; j'apaise mon désir qui est une souffrance et quand j'apaise cette souffrance-là je connais ce qu'il appelle l'ataraxie. L'ataraxie c'est l'absence de troubles. Le bonheur d'Epicure c'est l'absence de troubles ; j'étais troublé par la faim ou par la soif, j'ai apaisé ce trouble en pouvant satisfaire facilement ces besoins-là et les Épicuriens nous disent que la nature a bien fait les choses, c'est-à-dire que quand il s'agit de trouver des choses simples on les trouve facilement, la nature est pourvoyeuse de choses simples, un cours d'eau, vous avez une fontaine, vous avez des baies, des olives, vous avez des choses à grignoter par-ci par-là et vous pouvez vous satisfaire de choses extrêmement simples ; c'est plus compliqué d'avoir un château Yquem millésimé de son année de naissance ou une tranche de foie gras sous les Tropiques par exemple ! Donc désirs naturels et nécessaires, satisfaction des seuls désirs naturels et nécessaires. Mais un jour un disciple d'Épicure lui amène un petit fromage et Épicure dit : « ah je vais pouvoir faire une bombance extraordinaire ». Mais il se reprend et nous dit : pas de luxe, pas de choses inutiles, parce qu'on y consume son temps et son énergie, et la vraie sagesse consiste à savoir se satisfaire de choses extrêmement simples et extrêmement modestes.