Proches des hackers, les Anonymous, obscur groupe d'internautes, font aujourd'hui trembler multinationales et gouvernements. Qui sont-ils ? Que défendent-ils ? Aperçu d'un monde numérique et engagé.
Par définition, les Anonymous sont tout le monde et personne. N'importe quel internaute peut devenir un Anonymous dès lors qu'il participe à leurs actions.
Ces internautes, cachés derrière des pseudonymes, forment une masse anonyme et insaisissable dont l'organisation est anarchique, voire chaotique.
Pas de leader, pas de responsable. Tous les participants sont sur un pied d'égalité, avec le même pouvoir décisionnel. Tout internaute peut se connecter à leurs réseaux de discussion instantanée, dit IRC, et prendre part aux débats et surtout aux actions en cours.
"Nous sommes vos frères et vos soeurs, vos parents et vos enfants, vos chefs et vos employés. Anonymous est partout et nulle part en même temps. Notre force tient à notre nombre", résume l'un d'eux.
L'activisme 2.0
Un nombre inconnu et impossible à définir. Un Anonymous, répondant au pseudonyme "Vador-M", estime toutefois qu'au plus fort de la mobilisation, notamment lors du printemps arabe, les réseaux de discussion pouvaient "enregistrer des pics de fréquentation avec 3.000 personnes connectées en même temps".
Dans l'ombre de ces réseaux de discussion, les anonymes organisent différentes "opérations" consistant, le plus souvent, à rendre inaccessible des sites web. Pour ce faire, ils sont épaulés par un logiciel (baptisé LOIC) qui surcharge en requêtes un site cible, jusqu'à obtenir sa saturation. On parle alors d'attaque de déni de service (ou DDoS), contre laquelle aucun site web n'est protégé, aussi bien du côté du gouvernement égyptien que chez Mastercard.
Avec cette pression numérique, les Anonymous ont inventé en à peine quatre ans une nouvelle forme d'activisme. La chute du régime de Ben Ali en est la parfaite illustration. Alors que les rues tunisiennes grondaient, des internautes du monde entier se sont mobilisés pour aider les insurgés à contourner la censure du web tunisien et pour rendre inaccessible toute propagande du régime sur la Toile.
"Sans les Anonymous, la révolte en Tunisie n'aurait pas eu une répercussion internationale", estime même le blogueur et ancien ministre Slim Amamou.
"Manifestation du futur"
Tunisie, Egypte, Syrie, Bahreïn, Iran... Les Anonymous ont affiché un véritable soutien aux révolutions arabes, avec un mode opératoire qualifié de "manifestation du futur".
Les opérations des Anonymous sont nées en 2008 lors d'une première action contre l'Eglise de scientologie. En février, 10.000 personnes manifestaient à travers le monde devant les sièges de la secte, revêtant le masque inspiré de Guy Fawkes, terroriste anglais du XVIIe siècle qui tenta de faire exploser le palais de Westminster et d'assassiner le roi Jacques Ier, célébré par la BD et le film "V pour Vendetta". Ont suivi une forte mobilisation contre les ayants droit de l'industrie musicale et un soutien sans faille à WikiLeaks.
"Nous sommes face à une cybercriminalité qui valorise l'acte militant", analyse Nicolas Arpagian, auteur de "la Cybersécurité" (PUF). "Des non-délinquants se mobilisent pour une cause, un intérêt, et de manière radicale. Le militantisme prend une dimension incroyable, avec une capacité d'action sans commune mesure et un impact médiatique maximum", ajoute-t-il.
Les Anonymous revendiquent des mobilisations pacifiques en faveur de "la démocratie et la liberté d'expression", selon l'un d'eux. "Nous sommes un peu les Robin des bois de l'internet", renchérit un autre, francophone.
Pas tous des hackers
Interrogé sur leur implication auprès des Anonymous, plusieurs d'entre eux évoquent avant tout une volonté politique. "C'était il y a deux ans, j'ai entendu parler du mouvement contre la scientologie et un ami m'a initié", raconte un Anonyme français.
"Lorsque j'ai vu les idées développées par Anonymous, je n'ai pu que rejoindre la masse", raconte un autre, anglais. Pas besoin d'être ingénieur ou geek chevronné pour rejoindre le mouvement, la simple curiosité suffit. "Les Anonymous ne sont pas tous des hackers ou des cracks de l'informatique, loin de là...", note "Vador-M".
Loin de tout engagement politique, les Anonymous s'illustrent aussi par leur humour... particulier. Ce sont "les champions du monde du LOL", lance l'un d'eux. Il s'explique : "Les Anonymous sont adeptes du 'défaçage', c'est-à-dire remplacer la page d'accueil d'un site, explique un autre. Par exemple, ils ont remplacé le site de 'Hannah Montana' [série de Disney autour de la chanteuse Miley Cyrus, NDLR] par des photos d'hémorroïdes !"
Au final, conclut un dernier anonyme, "les Anonymous sont des geeks politisés avec un incroyable sens de l'humour".