Ceux qui ont suivi la progression de l'ouragan Irene sur la côte Est des États-Unis, se sont peut-être demandé pourquoi on lui a donné un inoffensif prénom féminin. S'agit-il de la déesse grecque de la paix, Eiréné ou Irene, l'une des trois Heures qui désignent, non pas les divisions du jour, mais celles de l'année, c'est-à-dire les saisons (le Printemps, l’Été et l'Hiver)? Homère les nomme les portières du ciel. Le nom d'une Harpie, comme Aello (Bourrasque), semblerait plus approprié. Par ailleurs, dans les traditions catholique et orthodoxe, on connait plusieurs Sainte Irène, dont les martyres du IVème siècle, Irène de Thessalonique et Irène de Rome, ainsi que les impératrices byzantines Irène l'Athénienne (752-803) et Irène Piroska ou Eirene (1088-1134).
Si on se penche sur le passé, on s’aperçoit que les tornades n'ont pas toujours été affublées de prénoms féminins ou masculins. On pense, par exemple, au Long Island Express, le grand ouragan de 1938 qui dévasta les côtes nord-américaines, depuis la Nouvelle-Angleterre jusqu'à New-York. Au début du 20ème siècle et jusqu'à la fin des années 1940, en effet, les météorologues classaient les tempêtes en fonction de leur date, de leur localisation ou de leur intensité : L'Ouragan de Terre-Neuve en 1775, le Grand ouragan de 1780, l'Ouragan de Galveston en 1900, le Big Blow (Le grand souffle) de 1913, l’Ouragan Okeechobee en 1928, Labor Day Hurricane (Ouragan de la Fête du travail) en 1935, etc.
Clement Wragge (1852-1922) inaugure la tradition consistant à donner des noms aux cyclones tropicaux. Son idée initiale est de les designer selon les lettres de l'alphabet grec. Par la suite, il choisit des figures de la mythologie polynésienne puis des politiciens australiens, comme James Drake (1850-1941), Edmund Barton (1849-1920) ou Alfred Deakin (1856-1919). Le météorologue s'inspire également des personnalités historiques comme les rois perses de la dynastie achéménide (Xerxès) ou les généraux carthaginois (Hannibal) et pioche dans les références bibliques (Teman ou Edom et Blastus). Cette manie de nommer les tempêtes semble sans doute trop excentrique, si bien que la pratique est abandonnée dès que Clement Wragge part à la retraite.
L'idée resurgit néanmoins dans l'esprit des militaires américains quelques soixante ans plus tard, durant la seconde guerre mondiale. La planification des missions dans le Pacifique étant très influencées les conditions météorologiques, les scientifiques de la Navy sont chargés d'anticiper les risques de tornades. Afin de les identifier plus facilement, ils prennent l'habitude de leur donner des prénoms féminins, choisis parmi ceux de leurs épouses ou de leurs petites amies. Le National Weather Bureau (l'actuel National Weather Service) introduit parallèlement un système plus rigoureux, basé sur l'alphabet phonétique militaire, mais ses limites apparaissent dès 1953. L'année suivante, le Bureau adopte donc la nomenclature informelle des météorologues de la Navy. Cette classification, consistant à donner des prénoms féminins aux ouragans, se généralise bientôt dans la majeure partie du monde.
Dans les 1970, la pratique conventionnelle est fortement remise en cause par les féministes, menées par Roxcy Bolton, une militante de la National Organization for Women. Celle-ci demande à la N.O.A.A (National Oceanic and Atmospheric Administration), qui chapeaute désormais le National Weather Service, de changer les dénominations féminines des ouragans et, plus ironiquement, de les remplacer par des noms de sénateurs. Sa proposition est rejetée, de même que celle, un peu trop extrémiste, réclamant que le mot "Hurricane" (ouragan en anglais), trop proche en sonorité de "her-icane" (her =elle) soit remplacé par l'expression "him-icane" (him=lui). Néanmoins, en 1979, le National Weather Service et la World Meteorological Association adopte un système alternant les prénoms d'hommes et de femmes.