Un internaute sur trois dans le monde n’a pas accès à un Internet libre. Une soixantaine de pays pratiquent la censure et d’autres pourraient rejoindre leurs rangs bientôt : la censure du Web se banalise. Au moins 123 blogueurs et Net-citoyens sont derrière les barreaux. Les révolutions arabes ont mis en avant leur rôle dans des pays où les médias traditionnels sont muselés. Ces nouveaux militants de l’information ont payé cher leur engagement. Plusieurs ont perdu la vie, en Libye ou au Yémen. D’autres ont été incarcérés à Bahreïn ou en Syrie. Au Caire, le premier prisonnier politique depuis la chute de Moubarak est un blogueur.
Dans l’ère du « Control 2.0 », la stratégie des régimes autoritaires s’est affinée. Cyberattaques en Chine, ralentissement de la connexion en Birmanie, coupure du réseau en Egypte ou en Libye, cyberpolice en Iran ou au Vietnam, redirection des sites indépendants vers des publications progouvernementales en Biélorussie, blogueurs payés pour nettoyer la Toile en Russie… Vaste est la palette des outils de censure.
Après les sites, les blogs, les forums de discussion et les plateformes d’échange de vidéos, c’est au tour des réseaux sociaux d’être au c½ur du cyclone. Récemment, le bureau d’information et d’Internet du gouvernement chinois a réuni les grandes entreprises nationales pour leur demander de contribuer au développement d’un Web « harmonieux ». Dorénavant, les patrons de Weibo (équivalent chinois de Twitter) et de QQ (messagerie instantanée la plus utilisée) ont pour mission d’épurer les réseaux de toute information dérangeante. Les émeutes en Mongolie intérieure ou les immolations de Tibétains ne doivent plus être relayées sur le Net.
D’autres entreprises sont genoux à terre devant les censeurs. En Chine toujours, Microsoft a signé un partenariat avec Baidu. Sur ce moteur de recherche local, les requêtes effectuées à partir des termes « 6-4 » (pour « 4 juin », date du massacre de la place Tiananmen en 1989), « indépendance Tibet », « démocratie » et « droits de l’homme » sont bloquées.
L’entreprise américaine Cisco Systems a fourni le matériel nécessaire à la construction de la « grande muraille électronique », le système de filtrage le plus sophistiqué à ce jour. En 2008, un document présenté au Congrès américain montrait que la firme avait expliqué à la police chinoise comment repérer les membres du mouvement spirituel Falun Gong, interdit dans le pays et dont les adeptes sont sévèrement réprimés.
Le printemps arabe a mis à jour d’autres pratiques condamnables. Mobinil, Etisalat, Vodafone, ainsi que les fournisseurs d’accès Linknet et TE Data sont sous le coup de poursuites judiciaires en Egypte. Ils sont accusés d’avoir coupé l’accès aux réseaux et, par extension, de porter une responsabilité dans la mort de manifestants lors des affrontements sur la place Tahrir, en février.
Ces informations ravivent le débat sur la responsabilité des acteurs du Net lorsqu’ils travaillent dans des environnements répressifs. Comment Microsoft et les autres majors du Web peuvent-elles empêcher les gouvernements chinois et russe d’utiliser leurs technologies à des fins de répression politique ? Aujourd’hui, seule la voie législative peut modifier la donne. Le Global Online Freedom Act (Gofa) est peut-être la dernière carte à abattre pour tenter de concilier business et respect des droits de l’homme. Cette proposition de loi du député républicain Chris Smith est destinée à empêcher les entreprises américaines de collaborer avec les pays qui restreignent l’accès au Net. En France, Bernard Kouchner s’était, un temps, pris à rêver d’un Gofa à l’européenne. Depuis son départ du gouvernement, le sujet n’est plus d’actualité. Lors du récent e-G8 organisé à la demande de Nicolas Sarkozy pour réguler le Web mondial, le thème ne figurait même pas dans le programme.