UN PEU DE TOUT... BEAUCOUP DE RIEN
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Le désir comme puissance d'être
Contrairement à Platon qui fait du désir le résultat d’une mutilation de notre essence, Spinoza affirme que « Le désir est l’essence de l’homme ». Le désir est l’humanité même. L’homme est par nature une puissance d’exister, un mouvement pour persévérer dans l’être c’est-à-dire pour exister encore et toujours plus. Tout existant est un conatus, c’est-à-dire un effort pour persévérer dans l’être, un conatus d’auto affirmation. Le conatus au sens spinoziste n’est pas une volonté de puissance (Nietzsche) mais une force qui s’affirme et poursuit son propre accroissement parce que celui-ci est vécu comme Joie.

Commentant Spinoza, Deleuze écrit : « Le conatus ne doit pas être interprété comme tendance à passer à l’existence …mais comme tendance à persévérer dans l’existence »

Il s’ensuit qu’il n’y a rien hors du désir dont il manquerait. En réalité c’est lui qui produit ce manque parce qu’en constituant tel objet comme désirable, il déploie la puissance d’exister. Il n’y a pas de désirable en soi. C’est le désir qui est la source de la désidérabilité des objets, c’est lui qui est à la source des évaluations. Nous ne désirons pas une chose parce que nous jugeons qu’elle est bonne, nous jugeons qu’elle est bonne parce que nous la désirons.

Spinoza récuse par cette analyse l’indépendance de la faculté de juger (l’entendement) par rapport au désir et la liberté de la volonté. L’homme est désir, conatus, effort pour déployer son existence. Son essence est de désirer c’est-à-dire de vouloir et de juger bon ce qu’il désire.

Chaque essence ou nature est singulière. Il n’y a pas de désirable en soi, il n’y a que du désirable pour chacun de nous. L’éthique spinoziste disqualifie les notions absolues et universelles de bien et de mal au profit de celles de bon et de mauvais, d’utile et de nuisible. « La musique est bonne pour le mélancolique, mauvaise pour qui éprouve de la peine, mais pour le sourd elle n’est ni bonne ni mauvaise » Ethique IV.

Le spinozisme est donc une philosophie de l’immanence. Le seul être qui soit, est le réel. Il n’y a pas de transcendance dont nous serions la nostalgie. Il n’y a que de l’être, et le propre de cet élément de l’être que je suis est d’affirmer son existence. Les affects exprimant l’affirmation de son être et son accroissement sont du ressort de la joie. (Ainsi de l’amour, de l’amitié, de l’admiration, de l’estime de soi et d’autrui, du plaisir, de la jouissance etc.). Ceux qui expriment une diminution de la puissance d’exister sont du ressort de la tristesse. (Ainsi de la souffrance, de la haine, de la jalousie, de la crainte, de l’angoisse du remords, de l’humilité etc.).

Le problème pour Spinoza est de comprendre pourquoi, plutôt que d’affirmer l’existence sur le mode de la joie c’est-à-dire de l’affirmation et de l’augmentation, le désir puisse l’exprimer sous la forme de la tristesse c’est-à-dire de la négation et de la diminution de la puissance d’exister. Pour rendre intelligible ce fait Spinoza propose de distinguer le désir actif et le désir passif.

Je suis passif lorsque mon affirmation ne procède pas de la nécessité de ma nature, mais de la nécessité d’une nature extérieure à moi et qui agit sur moi. Je suis donc enclin, sous l’effet de cette passion à me projeter vers des fins ou des objets qui peuvent m’attrister au lieu de me réjouir.

Le désir est actif lorsqu’il exprime la nécessité de ma nature.

Ex : Sous l’influence de mes parents, je peux désirer faire des études longues alors que l’étude m’ennuie profondément. Soumis à la séduction de telle personne je peux m’attacher à elle alors qu’elle me rend profondément malheureux.

Le drame dans ces cas de figure, c’est que j’imagine que certains objets sont bons pour moi, alors qu’ils sont mauvais. Je n’ai pas une idée adéquate de mon désir et je me fourvoie dans des expressions aliénées de ma puissance d’exister. La solution est de s’efforcer d’avoir une idée adéquate de son propre désir, ce qui est possible grâce à la raison car elle est une faculté de comprendre. Ainsi « Chacun a le pouvoir de se comprendre lui-même et de comprendre ses affects d’une façon claire et distincte sinon totalement, du moins en partie, et il a par conséquent le pouvoir de faire en sorte qu’il ait moins à les subir » Ethique V Prop.4, scolie.

Seule un critique rationnelle de l’imagination permet donc au désir d’avoir une idée adéquate de lui-même, d’être actif c’est-à-dire d’accomplir la puissance d’exister sous la forme de la joie.

Le spinozisme est une philosophie de la joie et… de la liberté. Etrange affirmation si on ne conçoit la liberté que comme libre arbitre. Car le libre arbitre est, pour Spinoza, une illusion et il ne s’agit pas d’y revenir. Mais « Je dis qu’une chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature ; et contrainte une chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir ». Lettre à G.H. Schuller

Spinoza donne donc une définition paradoxale de la liberté. La liberté ne s’oppose pas à la nécessité car elle est la nécessité comprise et agie (en connaissance de cause). Le contraire de la liberté n’est pas la nécessité c’est la contrainte. Libre, l’être agissant selon la nécessité de sa nature, contraint celui qui est déterminé à agir par une cause extérieure. Or tel est le cas de la nécessité passionnelle. Agir sous l’empire des affects, c’est subir, c’est agir selon une nécessité extérieure à ma nécessité propre. Seul celui qui vit sous le commandement de la raison, qui comprend la nécessité des choses et la sienne propre peut être libre et heureux. C’est le propre d’une vie réfléchie qui jouit d’elle-même et de tous les biens qui sont à sa portée. Car vivre et se réjouir, voilà l’authentique vertu. L’homme réfléchi s’efforce d’affirmer la nécessité de sa nature et de l’accorder à celle des autres car rien n’est plus réjouissant que de vivre dans l’adéquation à soi et dans l’adéquation aux autres.