Les héroïnes de films porno ne sont plus des objets sexuels. Et pour le prouver, Canal+ consacre une émission spéciale aux amatrices de X dans son "Journal du Hard" (samedi 7 janvier, minuit) qui fête ses 20 ans.
En 1991, les rênes de ce rendez-vous canaille étaient alors confiés à un certain Philippe Vandel, homme de son état et pas effarouché pour un (des)sou. Aujourd'hui, évolution des m½urs oblige, c'est la femme qui a pris la main, comprenez qui présente ce JT où l'actu ne s'avale pas à l'heure de l'apéro mais une fois par mois, à minuit tapante.
Et si les premières animatrices de ce piquant rendez-vous furent des stars du porno –Julia Channel et Clara Morgane-, la girl next door a désormais la préférence de la chaîne. Et c'est, depuis la rentrée, le rôle de la comédienne Donia Eden, gentille copine un peu coquine, qui s'acquitte de sa tâche sans rougir. Certains mots sont venus enrichir son vocabulaire (gonzo, double péné, hardeuse...) et elle avoue que ses a priori ont volé en éclats : "J'ai pu découvrir un univers qui n'est pas celui que l'on croit, où les gens se respectent, où il y a du plaisir", confie-t-elle, "mais cela ne m'a pas donné envie de passer à l'acte. Je présente du porno mais je n'en ferai pas !"
Question d'affinités. Car il n'y a pas de honte à faire du X : "Les femmes ont réussi à s'imposer dans ce milieu, devant et derrière la caméra", dit-elle. "Elles s'engagent, prennent des positions, personne ne décide à leur place."
Réalisatrices, actrices, scénaristes, spectatrices, elles sont de plus en plus nombreuses à s'intéresser au cinéma X, univers qui aurait évolué au même rythme que les libérations sexuelles, avec les mêmes exigences de parité et de mixité. Maîtresses de leur destin et de leur corps, donc.
Car, les temps ont changé, si l'on en croit le rédacteur en chef de l'émission, Olivier Ghis : "Les femmes, émancipées, n'ont pas la même façon d'exprimer leurs désirs, elles ne font pas appel aux mêmes stimuli. Si les hommes aiment les détails, les images grossières et se fichent pas mal des dialogues ou du scénario, les femmes sont plutôt demandeuses de mises en situation réalistes, de dialogues, de positions qui feront monter leur libido."
"Il était temps qu'elles arrivent !", s'exclame Philippe Vandel qui a présenté le "JDH" pendant cinq ans. Un Vandel plutôt critique sur la pornographie : "Lorsque je présentais 'le Journal du Hard', je trouvais que les scénarios les limitaient à des femmes objets, des poupées qui faisaient tout ce que l'homme leur disait de faire. Ca me déplaisait car ça voulait dire qu'une fille ne dit jamais non. Même si j'ai présenté mes émissions avec distance et ironie, cette représentation de la femme dans ce cinéma m'a toujours choqué."
"Objet sexuel ? Pas plus que dans la société en général", relève quant à lui Olivier Ghis. "Pour moi, les hardeuses ont davantage voix au chapitre sur un plateau qu'une caissière d'hypermarché devant son chefaillon. Les nouvelles réalisatrices du hard ont une exigence sur la qualité des scénarios, elles débarrassent le porno des clichés, parviennent à instrumentaliser l'homme avec talent et à mieux faire passer des fantasmes parfois crus, car les femmes ne sont pas toutes d'incorrigibles romantiques..."
Fille de mauvaise vie ?
Toutefois, si sur un plateau ça se passe mieux, pas sûr que ce soit le cas dans l'imaginaire collectif où la star de X demeure à jamais "une fille de mauvaise vie" comme le souligne Ovidie, ancienne actrice devenue réalisatrice de films pour adultes : "Il n'y a pas eu d'évolution de ce côté-là hélas!, nous ne serons jamais rhabillées socialement. Nous sommes considérées comme des mauvaises mères quand nous avons des enfants, victimes d'a priori quand nous voulons revenir à une vie plus classique, jusqu'à être virées de nos boulots quand un collègue découvre notre passé. Dans la rue, être reconnue est un cauchemar."
Certains collectifs féministes n'épargnent guère les hardeuses, les accusant de dévoyer l'image de la femme, assurant qu'elles ne sont jamais pleinement consentantes même si elles affirment le contraire : "J'ai eu affaire à eux plus d'une fois", raconte Ovidie, "mais le dialogue est impossible, elles sont certaines que nous sommes des victimes. Ce qui n'est pas le cas, bien au contraire."
Inspirée par les féministes américaines du X comme Candida Royalle qui, dans les années 80, avaient décidé de lutter contre la misogynie du milieu en adaptant leur cinéma pour des couples et des femmes, Ovidie se présente comme une féministe convaincue : "Je vois arriver une nouvelle génération de femmes qui revendique une prise en main de leur plaisir. Regardez le boom des sextoys... C'est une génération décomplexée qui osent parler de sa sexualité. Ce peut être aussi un combat : reconnaître la sexualité des femmes, leur droit au plaisir. Il n'y a pas plus féministe qu'une hardeuse qui a n'a pas peur de montrer son corps, de l'assumer, de s'en servir comme bon lui semble."
Il y a trente ans, Brigitte Lahaie était elle aussi agressée par les féministes. Elle ne s'est toutefois jamais défendue d'être celle dont on l'accusait : "Femme objet ou non, ce n'est pas le problème", dit-elle. "Car il y a dans nos gênes l'envie de demeurer le sexe faible, même si je fais là un raccourci volontairement provocateur. N'aimons-nous pas nous lover dans les bras d'un gars musclé, assez grand ou fort pour nous protéger ? Etre soumise, prise par un vrai mâle, fait partie de la fantasmatique féminine. Et c'est dommage qu'il y ait parfois chez les féministes un déni de ce qu'est la femme."
Et de nous assurer qu'Isabelle Alonso, présidente des Chiennes de Garde, avec qui elle a maintes fois discuté du sujet, est d'accord avec elle : "Le féminisme n'est-ce pas se battre pour être la femme qu'on a envie d'être ? Et si on souhaite être une femme objet, où est le problème ?"
Surtout si l'on considère que le film porno est un spectacle et que les relations sexuelles sont un jeu : "Une femme peut très bien dire à son compagnon : 'Ok, je fais la soumise pendant deux heures mais après on revient à la vie normale'", explique Lydia Guirous, fondatrice de l'association "Future, au féminin". "On ne peut pas gérer le fantasme des gens ni leur dicter leur mode de vie. Il y a une distinction à faire entre l'intime et le social."
D'autant plus que, même si la société évolue, le porno reste le même : il répond à des besoins primaires. Brigitte Lahaie qui a tourné entre 1976 et 1979 et qui vulgarise aujourd'hui le sexe sur RMC, est d'ailleurs plutôt sceptique quant à une évolution moins machiste de la production pornographique: "Le porno est tourné vers l'homme, même aujourd'hui. Dans les films, on met toujours en scène des femmes disponibles qui aiment le sexe. "
Les femmes, plus réceptives au porno
Les scénaristes femmes auraient donc permis d'intellectualiser la relation sexuelle, de donner une image esthétisante au porno, mais n'est-ce pas toujours la même rengaine ? : "Bien sûr, toutes les positions ont déjà été filmées, concède Ovidie, mais le porno féminin, c'est mettre en avant des pratiques sexuelles, des objets, des phantasmes ou des mots qui excitent davantage les femmes. C'est un parti pris."
Selon une étude Ifop menée en 2009 pour les 30 ans de la maison de production Marc Dorcel, les femmes sont plus réceptives à ce cinéma qu'il y a vingt ans. Mais elles visionnent rarement ce genre de films, seules. Elles sont ainsi 67% à avouer en regarder avec leur partenaire dont 30% le font seulement pour lui faire plaisir...
"En tant qu'homme, je considère ces films comme un hommage vibrant à la femme", insiste Olivier Ghis. "Hélas, le milieu du X est victime de clichés : sale, pervers, immoral, milieu de drogués, de fracassés… Ces gens là font autant de bien à la société que les pompiers ou les infirmières. "
D'autant que la pornographie féminine est axée sur le retour aux sources : après le gonzo où ça fornique dans tous les sens, le couple est remis à l'honneur dans des films mi-comédie de m½urs mi-porno: "On n'est plus dans le phallus triomphant et la jouissance instantanée", confirme Ovidie, "mais dans la sexualité réaliste avec des problématiques de couples, des actrices de 40 ans, des phantasmes à partager avec son compagnon."
Et, pourtant, dixit Philippe Vandel, "ce milieu est absurde, on n'y voit que des femmes épilées et des hommes qui portent des préservatifs, comme si ça se passait comme ça pour la majorité des gens !"
Car le Hard, même féminisé, est contraint en France à des règles : préservatifs obligatoires, aucune violences, viols ou harcèlements ne sont autorisés. Mais la supériorité du mâle y est encore bien présente : "Dans le fond, le grand problème ce sont les femmes elles-mêmes", estime Brigitte Lahaie. "Le jour où elles prendront une érection comme un hommage à leur beauté et à leur sensualité plutôt que comme une agression, le porno apparaîtra comme moins scandaleux."
Supériorité masculine
"Et puis, quelle supériorité du mâle ?", questionne Olivier Ghis. "Pour tourner un porno, la fille est mieux payée que le mec, que ce soit aux Etats-Unis, dans les pays de l'Est ou bien en France où une actrice est rétribuée environ 350 euros par jour et un homme généralement 100 euros de moins." Car la fille justement doit être désirable des pieds à la tête, répondre à des critères fantasmatiques, et c'est ce que nous indique notamment Ifop via son étude : 73% des hommes jugent le physique des actrices comme le critère le plus important dans le choix d'un film X.
D'où une supériorité masculine pas seulement remise en cause par le cachet plus favorable aux actrices qu'à leurs homologues masculins mais aussi par le nombre de plans qu'elles monopolisent : "Il y a énormément de séquences où l'on voit le corps de la femme en entier", précise Ovidie, "mais aussi de longs plans de son visage pendant l'acte. L'homme, lui, dans la façon d'être filmé, est largement instrumentalisé, réduit à l'état de bite."
C'est dit. Pour celle qui affirme avoir fait des films "très cons mais inoffensifs", la star du X est définitivement une féministe : "L'avenir du porno, c'est les femmes !", lance Ovidie. Rejointe en cela par l'étude d'Ifop pour qui "l’enjeu des prochaines années est l’émergence d’une pornographie de couple, moins sexiste et plus esthétisée, qui s’adresse aussi bien aux hommes qu’aux femmes."
Et par Lydia Guirous qui estime qu'une star du porno peut avoir des convictions en dépit d'un cinéma machiste : "Je ne suis pas de ce courant féministe totalitaire qui se positionne comme mère la morale, dit-elle. Les actrices de X peuvent très bien s'interroger comme d'autres sur notre place dans la société. Et s'engager. Clara Morgane fait partie du Collectif contre le viol, par exemple. Le progrès viendra donc aussi des réalisatrices de porno."
Et c'est ce qu'a également compris Canal+ qui laisse une belle place aux films de filles : "Elles ont rehaussé le niveau général de la production, conclut Oliver Ghis. Nous avons besoin de cette complexité qu'elles nous apportent, de cette respiration, de cette liberté et de cette émancipation." Si même les hommes le disent…
Source:
http://tempsreel.nouvelobs.com/...