Les principaux comploteurs du 18 brumaire an VIII, Bonaparte et Séyès, avaient monté un scénario bien réglé pour obtenir l’approbation des Chambres. Mais la résistance des députés des Cinq-Cents s’avéra beaucoup plus déterminée que prévue. Après bien des péripéties, il fallu que les grenadiers de Murat envahissent la salle du Conseil dans l’après-midi du 19 brumaire et qu’ils exécutent l’ordre de leur chef « Foutez-moi tout ce monde dehors ! ». Il suffisait ensuite de rédiger une nouvelle Constitution qui renforçait le pouvoir de l’exécutif avec à sa tête un Premier Consul, Bonaparte. Le Consulat était la première marche vers l’Empire.
Le 13 mai 1958 à Alger, les manifestations organisées pour saluer la mémoire de trois soldats français exécutés par le FLN et pour s’opposer à la formation à Paris d’un gouvernement présidé par Pierre Pflimlin tournent à l’émeute. Les Algérois menés par le député poujadiste, Lagaillarde, prennent d’assaut le Gouvernement général, siège du pouvoir. Dans la soirée le général Massu y fait son entrée furieux, grognant «Nettoyez-moi ce bordel !» Coupant l’herbe sous le pied des ultras, il prend la tête d’un Comité de salut public. Le coup d’Etat commence comme celui de l'an VIII avait fini : par des formules soldatesques.
Pierre Pfimlin est cependant investit le lendemain. Le 15 mai du balcon du Gouvernement général, le général Salan s’écrie “vive de Gaulle”. Le soir même, de sa retraite, de Gaulle annonce être prêt à prendre ses responsabilités S’ensuivent alors de longues man½uvres et même des menaces d’opérations militaires sur la France, elles aboutissent à la démission de Pfimlin le 28 mai. De Gaulle est investi le 1er juin 1958 comme président du Conseil avec les pleins pouvoirs et la mission de réformer la constitution. La nouvelle constitution consacre la prépondérance de l’exécutif sur le législatif puisque le premier dispose du droit de dissolution sur le second.
Les deux coups d’Etat ont ceci de commun qu’ils ont été exécutés sans effusion de sang, grâce à la pression de l’armée et au profit d’un général prestigieux. Les nouvelles constitutions ont ensuite évolué toutes deux vers un despotisme assumé.
En 1958, déjà, pour se protéger des turbulences du peuple, on avait changé le scrutin des élections législatives, passant d’un scrutin proportionnel sur liste à un scrutin majoritaire uninominal à deux tours où il fallait obtenir 5% des inscrits au premier tour, score qui éliminait les petits partis. Dès 1967, la barre était remontée à 10% et en 1972 à 12,5%. Ainsi aux législatives de 2007, le PS avec 14,66% des inscrits au premier tour obtenait 186 sièges et l’UMP avec 23,44% en obtenait 313. Sur les 577 sièges de l’Assemblée nationale 500 sont occupés par deux partis bénéficiant du soutien d’à peine 38% des citoyens. On est loin d’un reflet correct des courants de pensée du peuple.
En raison du droit de dissolution, les députés ont une épée de Damoclès qui tombent sur leur tête, soit dés qu’ils regimbent comme en 1962, soit pour être des exutoires de la colère du peuple comme en 1968, soit pour être remplacés par une Assemblée plus à la botte comme en 1981, 1988 et 1997. Ils deviennent des godillots, moins soucieux de la volonté générale que de leur réélection, légiférant au gré des sondages ou des humeurs du Président. Adieu à la vertu politique qui se définit suivant Montesquieu «par l’amour de la patrie et l’amour de l’égalité» et dont cet auteur fait le ressort de la démocratie. Pour parfaire le pouvoir du despote et lui éviter une dissolution de l’assemblée au lendemain de son élection, Chirac et Jospin ont rendu presque concomitantes les élections présidentielles et législatives avec en premier celle du despote .
La Constitution de 1958 rédigée pour conforter de Gaulle et sa vision de la France a eu l’effet contraire en rompant le contrat social par usurpation de la souveraineté du peuple par le Président. «De sorte qu’à l’instant que le gouvernement usurpe la souveraineté, le pacte social est rompu ; et tous les citoyens, rentrés de droit dans leur liberté naturelle, sont forcés mais non pas obligés d’obéir.» La nation s’en va à vaux l’eau. On vit même Chirac bénir des abandons de souveraineté au profit de l’Union Européenne. Des gaullistes rebelles ont cru à une résistance possible alors que l’incompatibilité entre la défense de la nation et celle de la Vème République mine leur crédibilité. Ils subsistent sous forme de groupuscules impuissants.