UN PEU DE TOUT... BEAUCOUP DE RIEN
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Vidocq, roi des policiers et des voleurs
Eugène-François Vidocq naquit le 24 juillet 1775 à Arras, où son père était boulanger. Ses inclinations perverses se révélèrent de bonne heure par quelques larcins commis dans la maison paternelle, lesquels grossirent de proche en proche, jusqu’à un détournement de deux mille francs qu’il effectua à l’aide d’effraction ; puis il s’enfuit à Ostende avec le projet de s’embarquer pour l’Amérique ; mais des malfaiteurs l’ayant attiré dans un lieu suspect le dépouillèrent à son tour des produits de son vol, et Vidocq se vit obligé, pour vivre, d’entrer au service de l’acrobate Coste-Comus, des Variétés amusantes, chez lequel il allumait les lampions et soignait les singes.

Dégoûté bientôt de cette existence abjecte, il revint à Arras solliciter le consentement de son père pour s’engager dans le régiment de Bourbon et l’obtint sans peine ; mais s’étant pris de querelle avec son sergent-major, il déserta dans un régiment de chasseurs d’où l’exila bientôt la crainte d’être traduit à un conseil de guerre pour ce dernier méfait. Ce fut sous un drapeau étranger que Vidocq alla cette fois chercher un abri contre la vindicte militaire de son pays ; il se fit incorporer dans les cuirassiers de Kinski ; mais les rigueurs de la schlague ne tardèrent pas à lui rappeler sa qualité de Français.

Il repassa la frontière, reparut dans son ancien régiment de chasseurs, et quitta momentanément le service par suite d’une blessure qu’il avait reçue à la jambe. Il profita de ce répit pour épouser, à dix-huit ans, la s½ur d’un aide de camp de Joseph Lebon, appelé Chevalier ; mais il la quitta à la suite d’une mésaventure conjugale, reprit sa vie errante, et profita du dérèglement de la discipline militaire pour parvenir rapidement au grade nominal de lieutenant, et même à celui de capitaine de hussards. Une dame de qualité chez laquelle il était logé s’intéressa assez vivement à lui pour le gratifier d’une somme de quinze mille francs.

Vidocq vint à Paris au commencement de 1796, dépensa rapidement cette somme en compagnie de joueurs et de femmes perdues, et se rendit à Lille, où il ne tarda pas à subir un emprisonnement correctionnel pour voies de fait exercées sur un officier du génie, avec qui il s’était trouvé en rivalité. Cette détention fut l’occasion de la seule sentence criminelle qui paraisse avoir été prononcée contre lui celle de huit ans de fers pour complicité dans la fabrication du faux ordre de mise en liberté d’un cultivateur condamné pour vol de blé.

Vidocq fut conduit à Brest, d’où il s’évada après une semaine de séjour : mais il ne put se soustraire à la surveillance de la gendarmerie, et essaya seulement d’améliorer son sort en se faisant passer pour déserteur de la marine. Traduit à Pontanion dans la maison de détention destinée aux marins, il parvint encore à s’évader sous le costume d’une religieuse.

A la suite de diverses autres aventures, Vidocq fut reconnu, et dirigé de nouveau sur Brest, d’où il s’échappa pour la seconde fois déguisé en matelot. Il fut de nouveau livré à la justice sur la dénonciation d’un faux frère et conduit dans les prisons de Douai, dont l’enceinte fut aussi impuissante à le retenir que l’avait été la surveillance des garde-chiourme de Brest. Il vint à Paris, fit la connaissance de la femme d’un chef d’escadron nommée Annette, et entreprit un petit commerce qui eût prospéré, sans les saignées répétées qu’il lui fallait faire subir à sa caisse pour rétribuer la discrétion de ses anciens compagnons de captivité.

Ce fut alors que Vidocq, à bout de voies, prit le parti d’aller dans les premiers jours de 1809, offrir son concours à la police de sûreté, sous la seule condition de subir le restant de sa peine dans la maison de force qu’on voudrait lui désigner. Son offre fut agréée après quelque hésitation, et voilà Vidocq enrôlé dans les rangs et bientôt à la tête de cette fameuse bande d’agents secrets, dont l’industrie consiste à appliquer à la recherche des malfaiteurs les ressources que la plupart ont déployées précédemment pour préparer le succès de leurs méfaits.

Des ruses de police, d’astucieux déguisements, d’ignobles perfidies, toutes les formes de langage employées dans les lieux les plus infâmes ; tels sont les tableaux que nous déroule Vidocq lui-même, historien de ses propres turpitudes, dans ses Mémoires. Cette existence dégradée et périlleuse dura jusqu’en 1827, et Vidocq signala son exercice par quelques coups de main habiles et par quelques services essentiels.

Il donna sa démission sous l’administration de M. Delaveau, qui, dans le rêve d’une belle âme, avait imaginé de moraliser la police, et d’en purger le personnel de cette foule d’êtres dangereux, dont les services équivoques lui paraissaient propres surtout à jeter un irrémédiable discrédit sur une institution destinée par-dessus tout à protéger l’honneur et la sûreté des citoyens.

Retiré à Saint-Mandé, dans une maison modeste qu’il avait fait construire depuis peu, il dirigea ses vues et son intelligence du côté de l’industrie. Préoccupé de l’avantage de secourir par le travail ceux des repris de justice auxquels, malgré un repentir sincère, cette flétrissure fermait tout accès à un emploi utile, il fonda une manufacture de papier et de carton destinée à recevoir exclusivement des libérés des deux sexes, moyennant une rétribution déterminée. Mais cette idée, bonne en soi, échoua soit par le défaut d’appui du gouvernement, soit par la répugnance des détaillants de Paris à employer des produits d’une telle origine, et Vidocq fut contraint, au bout de quelques années, à une liquidation onéreuse.

En 1830, Vidocq se décida à rentrer dans la police sans caractère officiel, comme en 1809 ; mais ce fut, cette fois, à la police politique surtout qu’il offrit le tribut de son intelligence et de son dévouement. On le vit figurer dans ces bandes dites d’assommeurs chargées d’intimider les ennemis du nouvel ordre de choses ; et les services qu’il rendit à la cause de l’ordre, lors de l’insurrection des 5 et 6 juin 1832, sont établis par une lettre du préfet de police au ministre de l’intérieur, en des termes qui ne permettent pas d’en contester l’importance.

Il fut même présenté au roi Louis-Philippe à cette occasion, et lui-même reproduit dans ses Mémoires le fait de cette entrevue, mais avec des détails tellement excentriques, qu’ils empêchent d’y ajouter une foi absolue. Il ne paraît pas d’ailleurs que la gratitude de l’autorité se soit exercée avec beaucoup de munificence à l’égard de Vidocq, car au mois de juin 1833, on le voit ouvrir à Paris un bureau de renseignements pour éclairer le commerce sur les faiseurs de dupes dont cette ville abonde, et mettre en ½uvre plusieurs autres procédés industriels dont il paraît avoir tiré un certain profit. Quant à l’agence commerciale, elle prospéra assez longtemps, bien que troublée par deux actions en police correctionnelle, pour escroquerie, qui n’amenèrent aucune condamnation définitive contre le prévenu.

Toujours enthousiaste des gouvernements nouveaux, Vidocq mit ses services à la disposition de Lamartine après la révolution de 1848 — Alphonse de Lamartine fut ministre des Affaires étrangères de février à mai 1848 — et se montra l’un des fervents adorateurs du pouvoir qui succéda à la république. Il mourut néanmoins dans un état de détresse absolue, le 11 mai 1857, après avoir demandé et reçu les secours de l’Église. Il s’exprima, dit-on, alors dans un langage qui témoignait de son retour aux idées religieuses.