UN PEU DE TOUT... BEAUCOUP DE RIEN
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25 janvier 1995: Cantona, pour la beauté du geste
Eric Cantona était un joueur connu pour son tempérament impulsif. Outre ses nombreux buts sous le maillot rouge de Manchester United, on retient aussi son célèbre coup de pied sauté, resté dans les annales british comme le « Kung Fu kick ». Derrière la figure du bad boy mainstream entretenue à gauche et à droite, retour sur un geste culte devenu quelques années plus tard un symbole anifasciste.

Ce 25 janvier 1995 à Selhurst Park, antre de Crystal Palace, le Manchester United d’Alex Feguson aligne la grosse équipe, avec la recrue Andy Cole à la pointe de l’attaque. Fraîchement transféré de Newcastle, c’est sur lui que les yeux des observateurs prévoient de s’attarder.

Lors de la première mi-temps, Cantona n’est pas fantomatique mais presque. Celui qui a été désigné par ses pairs Player of the Year du championnat anglais saison 93/94, est tombé sur un os en la personne de Richard Shaw, rugueux défenseur missionné pour un marquage individuel à l’ancienne. Celui où on frictionne les chevilles. Richard Shaw joue si bien sa partition qu’il se paye même le luxe d’arriver à la pause sans carton jaune. Ce qui a le don de tendre sérieusement Ferguson qui s’en va mettre un coup de pression à l’arbitre dans le tunnel des vestiaires. « Pourquoi ne fais-tu pas ton putain de job ? » aurait assené le manager des Red Devils à Alan Wilkie, impassible. Trois minutes après la reprise, Cantona fut expulsé suite à un énième contact. Son cinquième carton rouge en seize mois outre-Manche. Dans les secondes qui suivent, alors qu’il traverse la pelouse pour regagner les vestiaires, au bas de la tribune, un supporter de Crystal Palace vocifère. Cantona lui envoie alors un coup de pied sauté par-dessus la balustrade publicitaire, puis un ou deux coups de poing plus ou moins placés. S’en suit une brève mêlée, et Cantona quitte la pelouse.

Cantona « pisse au cul » des journalistes de L‘équipe

Les images qui tournent dans les médias sont alors traitées sous le coup de l’émotion. On parle de l’énième frasque d’un joueur dépeint comme un caractériel, même s’il est censé être le leader de l’équipe de France d’Aimé Jacquet. Le spectaculaire de la scène l’emporte sur toute nuance ou tout discernement. Certains médias s’en donnent à c½ur joie pour charger Cantona. En France, le journal L’équipe porte l’estocade, barrant sa une du lendemain d’un lapidaire « Indéfendable ! » au dessus de la photo du coup de pied saisi sur le vif. Pour le seul quotidien sportif de l’Hexagone, ce n’est pas un dérapage mais une faute morale.

Cette couverture médiatique violemment à charge, le joueur ne l’oubliera jamais. La corporation des journalistes en aura un aperçu quand, six ans plus tard sur le plateau de l’émission Côté Tribune de Pathé Sport, animée par Patrick Chêne et Claude Bellei, Cantona vient régler ses comptes avec la presse. La cicatrice encore ouverte, Cantona répond aux deux journalistes présents, Christian Ollivier pour RTL et Patrick Urbini, alors journaliste à L’équipe. « Pour une petite agression sur un petit supporter, on peut être pardonné » dit-il, faisant un parallèle avec le Pape et son pardon à divers catholiques qui ont collaboré avec les nazis. « Au Pape je lui pisse au cul, comme je pisse au cul de beaucoup de journalistes dont vous faites partie » pointant du doigt Ollivier et Urbini, silencieux.

Après les faits, face à la violence de la charge médiatique, Cantona ne s’était pas exprimé. Le club mancunien avait pris les devants en sanctionnant rapidement son joueur d’une amende équivalente à deux semaines de salaires (10 800 livres) et d’une suspension jusqu’à la fin de la saison. Le coach Alex Ferguson avait peur de perdre son joueur à qui il accordait de nombreuses circonstances atténuantes. Il parvint à convaincre les dirigeants de conserver Cantona alors que l’Inter Milan le courtisait de façon pressante depuis plusieurs semaines. Ironie du sort, le président des nerazurre Massimo Moratti était même présent dans les travées de Selhurst Park le fameux jour. Et peut-être a-t-il, l’espace d’un instant, cru que ce geste précipiterait Cantona dans ses filets.

Visuel repris par les antifascistes

Un mois plus tard, la sanction de la Fédération Anglaise tombe et Cantona est suspendu 8 mois ! Mais le joueur n’en a pas fini de payer son coup de pied. Un peu moins de deux mois après les faits, il passe en procès. Verdict: deux semaines de prison ferme. Les proportions prises sont énormes. Son avocat, Jean-Jacques Bertrand confia au mensuel So Foot qu’après le verdict, il s’en est fallu de peu que le joueur parte passer la nuit derrière les barreaux. Un délai à l’exécution de la peine ayant été obtenu au dernier moment. En appel, la sentence sera plus clémente et transformée en 120 heures de travaux d’intérêt général et 40 000 livres d’amende. « Si les mouettes suivent le chalutier, c’est qu’elles pensent que des sardines vont être jetées à la mer. » déclara-t-il après, dans une conférence de presse restée célèbre.

Quant au supporter de Palace Matthew Simmons, on apprendra plus tard qu’il venait d’insulter Cantona, en substance « Rentre chez toi bâtard de Français ! » ou un truc s’en approchant. Il sera d’ailleurs condamné pour son insulte, pour « incitation à la haine ». La presse fouillant son passé mit aussi jour qu’il était sympathisant du National Front, parti d’extrême-droite britannique. Selon Brian Clough, Cantona aurait même « mieux fait de lui couper les couilles ». Sans aucun remord, Cantona avouera en 2011, « avoir donné ce coup de pied parce que ce genre de personnes ne doit pas être présent à un match… C’était comme un rêve de pouvoir frapper ce type. » L’image de son coup de pied est aujourd’hui reprise sur des stickers antifascistes. Une symbolique construite a posteriori, car Cantona ignorait bien entendu le bord politique du supporter de Palace.

La presse anglaise avait célébré les 20 ans de ce coup de pied. Un article du Guardian avait même titré pour l’occasion « La nuit qui changea le football à jamais ». Un événement tellement marquant que plusieurs années plus tard, quand Simon Burnton interrogea pour son papier trois joueurs de Crystal Palace ayant participé à la rencontre, aucun ne se rappelait du score. Le souvenir du coup de pied de Cantona avait occulté tout le reste.