UN PEU DE TOUT... BEAUCOUP DE RIEN
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De quand date la monogamie en Occident ?
Pendant un millénaire, dans un Occident à peine christianisé, on peut avoir plusieurs femmes et s’en séparer. Les hommes sont polygames et le droit les autorise à renvoyer leur épouse. Jusqu’à "l'affaire" du roi Philippe.

Il est arrivé qu’à l’occasion de telle ou telle affaire de président adultère, certaines personnes se moquent : «Vous, en France, vous êtes autant polygames que nous. Mais vous le faites en trichant». Que penser de ce genre d’affirmations ? Histoire du mariage, un pavé publié dans la formidable collection Bouquins (Laffont) et qui se lit comme un polar plein de rebondissements, répond un peu à la question : au fond, de quand date notre «monogamie» ? Et quelle valeur a-t-elle ?

Charlemagne (742-814) se marie cinq fois et n’attend pas toujours qu’une femme meurt pour en épouser une autre. Pour s’allier avec la fille du roi des Lombards (Désirée), il déclasse sa première femme (Himiltrude) au statut de concubine. Moins d’un plus tard, Désirée est déclassée à son tour, au profit d’une princesse alémanique. Le cas de Charlemagne est loin d’être isolé. Les grands seigneurs carolingiens sont polygynes, c’est-à-dire qu’il leur suffit de déclarer «concubine» leur épouse pour pouvoir épouser une autre femme… tout en ayant autant de concubines qu’ils le désirent. L’historien Charles M. de La Roncière note dans un chapitre éclairant d'Histoire du mariage (Robert Laffont, 2009) que «Les concubines du bon roi Dagobert étaient si nombreuses qu’il renonçait à les nommer toutes».

Lors de l’effondrement de l’Empire carolingien, vers 820, les évêques interviennent dans les affaires matrimoniales. Ils tentent de moraliser le mariage en imposant l’idéal de l’union unique, à vie. Problème : la coutume du concubinage – très répandue dans l’aristocratie – trouve des formes de légitimité dans la Bible : après tout, le patriarche Jacob n’avait-il pas des concubines ? Les nobles du 9e siècle, en Francie, sont d’autant plus attachés à leurs concubines que celle-ci sont toujours des princesse de haut rang, qui garantissent des stratégies d’alliances complexes, indispensables au maintien de la paix et aux négociations territoriales.

L’épiscopat n’a cure de ces stratégies lignagières. Sous le règne de Louis le Pieux (814-840) – quatrième fils de Charlemagne – les évêques mènent une véritable purge à la Cour : le nouvel empereur chasse les ex-compagnes de son père. Mais la polygynie a la vie dure. Louis II dit «le Bègue» (846-879) épouse ainsi en première noce une femme (Ansgarde de Bourgogne) qu’il a enlevée dans une abbaye puis la répudie afin d’épouser Adélaïde de Paris. Scandale ? Non. Ainsi qu’un évêque l’observe à l’époque, il suffit d’un rien pour qu’une épouse soit répudiée. Elle est de moins haute naissance qu’une autre ? Moins riche ? Moins belle ? Si elle ne sert plus ses intérêts, «le mari s’estimait autorisé à se séparer d’elle et à se remarier, résume Charles de La Roncière. Les évêques et les conciles (Troyes, 878) firent plusieurs fois état de toutes ces répudiations, préoccupantes par leur nombre, par leur désinvolture et par leur éclat.» Comment faire obstacle au remariage de ces inconstants ?

En 860, lorsque Lothaire répudie sa femme, un prélat nommé Hincmar fait opposition : «selon la loi de l’église et la doctrine catholique, un mariage légitime ne peut être rompu.» Hincmar en réfère au pape Nicolas Ier, qui refuse lui aussi de reconnaître le mariage. En 866, Waldrade est excommuniée. Lothaire tente de plaider sa cause, mais en vain. La lutte cependant ne s’arrête pas là. Les nobles résistent. Ils continuent de répudier. Eclate ensuite l’affaire du remariage de Philippe Ier, roi de France : il avait répudié sa femme Berthe (après l’avoir fait enfermer au château de Montreuil où elle mourut probablement de chagrin), pour épouser, en 1092, Bertrade déjà mariée au comte d’Anjou. Le pontife ne tergiverse pas. Fait inouï pour l’époque : deux conciles condamnent Philippe 1er. Le 16 octobre 1094, trente-deux évêques prononcent l’excommunication du roi.

Le couple royal vit pendant 10 ans sous le coup de l’anathème… avant, finalement, de plier. Lors du concile de Paris, «en 1105, devant un parterre d’évêques et d’abbés, le roi, pieds nus, vêtu en pénitent, prêta le serment de n’avoir plus aucun rapport avec Bertrade et de ne lui parler qu’en public», raconte Charles de La Roncière. Tint-il parole ? Apparemment pas. Malgré leur serment, Philippe et Bertrade (désormais absous) poursuivent leur vie commune. Mais le mal est fait : un roi s’est humilié devant le Pape. Pour les nobles, c’est une trahison, qu’ils dénoncent dans un «déchaînement d’invectives». Trop tard, une page de l’histoire est tournée. Le «mariage exogame, monogame et indissoluble» s’impose comme la norme. Sont désormais bannis le concubinage et «toute l’écume suspecte des pratiques séculaires de la noblesse», conclut l’historien.