Le kilogramme a du souci à se faire. Du 16 au 20 octobre 2017, le Comité international des poids et mesures s'est réuni en région parisienne pour envisager une révision des quatre unités de base, le kilogramme, l'ampère, le kelvin et la mole. De nouvelles définitions pourraient entrer en vigueur en mai 2019. Il y a quelques mois, nous évoquions justement le cas du kilogramme, un peu trop vieillot. De toutes les unités, il est le seul à ne pas avoir été « dématérialisé ». La barre de platine irridié pieusement conservée à Sèvres, près de Paris, reste toujours la référence mondiale pour la masse. Ses jours sont comptés après la mise au point d'un procédé fondé sur la constante de Planck.
Depuis 1889, la définition du kilogramme est donnée par un cylindre constitué d'un alliage de platine (90 %) et d'iridium (10 %). Surnommé le Grand K, il sert aujourd'hui encore d'étalon international. Aujourd'hui encore, mais plus pour très longtemps. Car en novembre 2018, la définition du kilogramme -- comme celles d'autres unités du Système International (SI) -- sera revue. Le Grand K en effet, malgré toutes les précautions qui l'entourent, perd inexorablement de sa masse par simple diffusion de ses atomes dans l'air ambiant, même si, bien sûr, il est soigneusement isolé. Lorsqu'il a été pesé en 1946, il pesait 30 microgrammes de moins que ses témoins. Et en 1992, il avait encore perdu 20 microgrammes... Une différence infime pour nous. Mais inacceptable en métrologie.
Les physiciens rêvent de s'affranchir d'un objet matériel afin de définir le kilogramme de manière extrêmement précise et pérenne, comme cela a été fait depuis longtemps pour le mètre et la seconde. Ce que proposent des chercheurs de l'Institut américain des normes et des technologies, le NIST, c'est de fonder une nouvelle définition du kilogramme sur l'une des constantes fondamentales de la physique rattachée à la théorie quantique, la constante de Planck.
Rappelons que la constante de Planck -- découverte par le physicien du même nom en 1900 -- définit le seuil d'énergie minimum que l'on puisse mesurer sur une particule. Elle nous apprend ainsi que les échanges d'énergie entre matière et rayonnement ne se font pas de manière continue, mais plutôt de façon discrète, c'est-à-dire quantifiée. Et la constante de Planck, en définissant la valeur de ces quanta, relie aussi la masse à l'énergie électromagnétique.
De la constante de Planck au kilogramme
Pour mesurer la constante de Planck, les chercheurs du NIST ont fait appel à un procédé connu et envisagé de longue date, la balance du watt, encore appelée balance de Kibble, en l'honneur du physicien qui a inventé la technique. L'idée : utiliser des forces électromagnétiques pour équilibrer des masses. Les forces électromagnétiques en question naissent d'une bobine placée entre deux aimants permanents. Lorsqu'un courant électrique traverse la bobine, un champ magnétique est créé. Il interagit avec celui généré par les aimants permanents, créant une force qui équilibre les masses. Par ailleurs, lorsque la bobine est soulevée à une vitesse constante, le mouvement induit une tension dans la bobine, proportionnelle à l'intensité du champ magnétique.
Après avoir accumulé, pendant 16 mois, plus de 10.000 mesures de courant, de tension et de vitesse de la bobine, les chercheurs du NIST ont pu calculer la plus précise des valeurs de cette constante de Planck jamais établies : 6,626069934 x 10-34 kg.m2.s-1. L'incertitude est de seulement 13 x 10-9, meilleure, même, que ce qu'exige la redéfinition du kilogramme.
Cette mesure vient renforcer d'autres mesures réalisées, l'une par le National Research Council du Canada à l'aide également d'une balance de Kibble et l'autre par la technique dite d'Avogadro qui consiste à compter le nombre d'atomes dans une sphère de silicium. Elle devrait donc permettre au Comité de données pour la science et la technologie (Codata) de fixer une nouvelle valeur de la constante de Planck et, avec elle, une valeur précise du kilogramme.