Nouvelle année mais surtout nouvelle décennie ! Voilà à peine un mois que nous sommes en 2020 et l’actualité s’est déjà chargée de nous rappeler que le monde est loin d’être frivole et léger. Plus les années passent, plus je me rends compte que le passage à la nouvelle année n’est pas synonyme de véritable changement, et célébrer ce que la majorité considère comme un nouveau départ, devient presque superflu. On reprend les mêmes habitudes et on recommence ! Si l’année dernière je vous adressais mes meilleurs voeux en vous recommandant la lecture d’un ouvrage traitant de la question de l’amour à l’ère de la consommation, cette année je choisis de vous exhorter à la recherche du bonheur ! Mais pas n’importe lequel !
Qui n’a pas déjà entendu quelqu’un se qualifier d’« épicurien » ? Aujourd’hui, je décide de revenir sur ce mot et sur ce qu’il signifie. S’il y a bien quelque chose qui participe à creuser davantage le faussé qui existe entre philosophes et non philosophes, c’est bien l’utilisation de la langue. Lorsque l’on fait de la philosophie, la première chose que nous constatons, non sans effroi, c’est que le monde s’exprime différemment. Il apparait alors à l’apprenti philosophe que les mots ont perdu leur sens dans le langage courant et leur usage est voué à refléter le vide de la pensée de ceux qui restent en surface.
Vous qui me lisez maintenant, quelque soit votre parcours, vous allez perdre quelques minutes de votre temps pour vous intéresser à votre bonheur et peut-être trouver dans la philosophie antique la clé de votre paix intérieure. Comme vous l’aurez sûrement compris, l’ouvrage que je vous recommande de lire ou relire, avant qu’il ne soit trop tard, traite de la question du bonheur chez les antiques. Quand on évoque cette idée, deux écoles se disputent le palmarès ; Les Stoïciens et les Épicuriens. Si personnellement ma préférence va à l’école du portique plutôt qu’aux philosophes du jardin, je choisis pourtant de vous parler de la philosophie épicurienne. D’abord parce que le règne de l’épicurisme dévoyé par les slogans publicitaires et l’imaginaire collectif a assez duré mais surtout parce que c’est une philosophie qui revêt un aspect pratique. Ce qu’il y a de merveilleux à mon sens avec la philosophie antique, c’est qu’elle se présente littéralement comme un sport dont l’exercice quotidien et assidue peut assurer la paix de l’esprit et du corps.
En cette nouvelle année, le cadeau que je vous fais c’est la Lettre à Ménécée d’Épicure, un texte court qui se lit rapidement et vous permettra de repenser la façon dont vous menez votre existence. Et si d’aventure votre esprit restait sourd à cette philosophie, vous saurez au moins ce qu’est véritablement « l’épicurisme » et pourrez rependre la prochaine personne que vous entendrez se qualifier d’ « épicurien » parce qu’elle aime boire, manger et profiter des plaisirs de la chair sans entrave.
Ainsi, l’oeuvre que je vous recommande est une lettre adressée par Épicure à l’un de ses disciples et présente une véritable méthode pour atteindre le bonheur. Si je ne vais pas, ici, me lancer dans un cours sur l’épicurisme pour ne pas risquer de vous ôter l’envie de vous confronter à l’oeuvre elle-même, je vais cependant vous introduire à cette philosophie en quelques mots afin que ceux qui n’iront pas plus loin que la lecture de cet article repartent avec la conviction que le mot « épicurien » a perdu son sens véritable dans le langage courant.
La vie « bonne » repose sur l’absence de troubles pour l’âme, ainsi le plaisir est un élément central de la philosophie d’Épicure. Mais pas n’importe quel plaisir ! L’erreur moderne consiste à croire que la quête effrénée des plaisirs immédiats suffit à nous rendre heureux, pourtant la philosophie antique et plus particulièrement les épicuriens nous enseignent à ne pas rechercher les plaisirs vains et, surtout, à ne pas succomber aux désirs désordonnés. En effet, il convient de bien comprendre ce que nos désirs représentent en terme de satisfaction et de souffrance. Dans la lettre à Ménécée, Épicure établit une distinction entre les désirs qui doivent être satisfaits et ceux qui apportent plus de souffrance à terme que de plaisir. Ainsi, les désirs dits « nécessaires », comme la faim ou la soif, doivent être assouvis, les désirs naturels qui sont conformes à la nature de l’homme peuvent être assouvis mais ne sont pas nécessaires tandis que les désirs vains tels que la luxure, la gloire ou la richesse doivent être évités. Tout l’intérêt, ici, est de comprendre que ce qui amène un plaisir de l’instant ne saurait être une source de bonheur en ce que ces désirs superflus créent un vide et, à terme, de la souffrance.
C’est donc une philosophie qui bannit les excès ! Dans l’antiquité, la vie heureuse est associée à la vie vertueuse, il est alors primordial pour l’homme qui tend vers le bonheur, de tendre vers l’exercice de la vertu. La prudence est alors la vertu mise en avant dans la lettre à Ménécée, en ce qu’elle permet de ne pas être esclave de ses désirs.
Ce qu’il y a de remarquable dans la philosophie antique, c’est son côté pratique, ainsi, les préceptes enseignés prennent la forme d’un exercice quotidien. Épicure livre donc un quadruple remède qui permet de soigner les maux de la condition humaine :
- Les dieux ne sont pas à craindre
- La mort n’est pas à craindre
- Le bonheur est à notre portée
- La douleur peut être supportée
Tout l’objet de la Philosophie est de se dégager de l’empire de l’opinion pour accéder à la réelle connaissance des choses. Ainsi, il convient de raisonner en dehors des opinions fausses. L’opinion, c’est ce qui fait que nous avons des jugements arrêtés sur les choses alors même que ces jugements sont faux. Pour les épicuriens, c’est ce qui entraine la crainte d’une chose et donc ce qui apporte de la souffrance.
Ainsi, les dieux ne sont pas à craindre car ils sont bienheureux. La mort n’est pas à craindre car lorsqu’elle est présente, nous ne sommes plus. Le bonheur est à notre portée car nous pouvons choisir de mener une vie qui conduit à celui-ci dans l’exercice de la mesure et la capacité à établir des raisonnements sobres. Toute l’entreprise, ici, consiste à tendre vers la sagesse afin d’éviter la souffrance. Après cette petite introduction accélérée à l’épicurisme, il apparait qu’être un « épicurien » n’ait rien à voir avec le fait de multiplier les plaisirs et encore moins avec l’idée de l’excès ou de la légèreté.
Aussi, en ces temps de troubles, un retour à la sagesse antique ne peut être que bénéfique :
« Ainsi, fais de ces choses et de celles qui s’y apparentent l’objet de tes soins, jour et nuit, pour toi-même et pour qui t’est semblable, et jamais, ni éveillé, ni en songe, tu ne connaîtras de trouble profond, mais tu vivras comme un dieu parmi les hommes. Car il n’est en rien semblable à un vivant mortel l’homme qui vit au milieu de biens immortels. », Lettre à Ménécée, Épicure, Flammarion, coll. GF, Paris, 2009.
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