J'ai la réputation d’être un MJ qui sait très bien improviser. Même si les joueurs ou les joueuses entraînent l’aventure dans la direction étrange et imprévisible qui les tente, je peux m'adapter rapidement en présentant des PNJ et des rencontres semblant avoir été préparées de longue date. Les événements paraissent s'enchaîner sans accroc ; on jurerait que j’anticipe tous les rebondissements possibles. Ce n’est bien sûr absolument pas le cas. J’ai tout simplement suffisamment de pratique pour garder une bonne contenance. Et j’utilise une technique de MJ appelée 7-3-1.
Le 7-3-1 est… un exercice. J’hésite à parler de « préparation de séance », car il n’a pas vocation à produire un tas de notes utilisables pendant la partie. Le but du 7-3-1 est plutôt de m’aider à interroger mon univers afin de le comprendre de manière intuitive. J’ai développé cette technique il y a environ quatre ans en utilisant quelques conseils du jeu de Dogs in the Vineyard , le JdR de Vincent Baker ; de « la Règle de Trois » de Jared Sorensen et d’un épisode du [podcast rôliste] Jank Cast.
Voici comment cela fonctionne :
Avant une session, je définis un total de 7 éléments : des PNJ, des lieux et des rencontres. Je donne à chacun une motivation [ou une justification]. Je crée ensuite pour chacun 3 détails sensoriels que je peux décrire à la table (aspects, odeurs, sons, etc.). Enfin, j’imagine pour chaque élément 1 manière de l'interpréter et de lui donner corps (son spécifique, voix, tic verbal, posture du corps, maniérisme, etc.). Puis je note tout ça.
Voici quelques exemples pour un univers de type « apocalypse zombie » (deux des sept éléments que je vais noter) :
Charlie Steele, chef des survivants de la ville de Decatur
- Motivation : convaincre les personnages-joueurs de le rejoindre dans sa campagne contre les Mohawks ;
- Détails sensoriels : une odeur de vieille eau de Cologne, un costume mal ajusté et effiloché, le son de ses bottes claquant sur le béton ;
- À la table : une voix toute douce et qui zozote.
Centre commercial Willowbrook, un camp de réfugiés de fortune
- Motivation : rappeler aux personnages-joueurs comment les choses étaient dans le passé ;
- Détails sensoriels : imposants palmiers en plastique, les enfants jouent et pleurent, des réfugiés vêtus de beaux habits récupérés dans les grands magasins ;
- À la table : de tonitruants « Ho, ho, ho ! » de l'homme vêtu d’un costume de père Noël essayant de remonter le moral des enfants.
Notez que ces notes 7-3-1 ne doivent pas nécessairement « correspondre » à l’histoire en cours, ni être reliées les unes aux autres. Rappelez-vous : le but de l'exercice 7-3-1 est d’interroger votre univers. À quoi ressemblent les gens ? À quoi ressemble le son de leur voix ? Quelles sortes d’endroits peut-on y trouver ? À quels types de dangers peut-on être confronté ? À quoi les gens aspirent-ils ?
Nous ne créons pas un monde de campagne au sens traditionnel du terme, où chaque lieu et chaque PNJ seraient définis. Nous répondons à la question « Comment ce monde réagit-il aux actions des personnages-joueurs ? »
En cours de partie je garde parfois mes notes 7-3-1 à portée de main, parfois non. Il m’arrive de m'en servir de source d’inspiration en début de campagne, mais il est tout aussi probable que je ne m’en serve pas du tout. Le simple fait de pratiquer cet exercice fait émerger dans ma tête une multitude de personnages et de détails.
Lorsque nous commençons à jouer, je tire de mon esprit les éléments qui conviennent à ce qui est en train de se passer. Il se peut que j’aie créé un somptueux personnage d’oncle lors de ma préparation, mais que les joueurs ont choisi d’interagir avec la grand-mère. Eh bien, je vais prendre ces détails sympas de l’oncle, et les greffer à la grand-mère.
Dans l'exemple de Charlie Steele ci-dessus, les joueurs ne se rendent peut-être pas au camp de Decatur comme je l'escomptais, mais choisissent plutôt de parler à l'homme qui fait commerce d’armes à feu à l'arrière de son camion. Si je suis particulièrement épris de la voix zozotante de Charlie (je m’y suis entraîné toute la semaine), je pourrais peut-être sélectionner cet élément et l'attribuer au marchand d’armes. Je trouverai une autre façon d’incarner Charlie plus tard (ou jamais, s'il s'avère que les joueurs se fichent complètement du camp de Decatur, auquel cas je continuerai de dépouiller Charlie de ses détails intéressants pour les donner aux autres personnages).
À un moment donné après la session, peut-être lors de ma préparation de la prochaine, je ressors mes notes 7-3-1 et les met à jour. Je corrige les éléments qui ont pris un tour différent de ce que j’avais prévu, raye ceux qui ne sont plus pertinents ou utiles, et en note de nouveaux afin d’en avoir toujours 7. Si les personnages joueurs se retrouvent dans un environnement ou un univers radicalement différent, je crée un 7-3-1 entièrement neuf.
Être un bon MJ improvisateur demande de la pratique. Parfois, peu importe le temps que vous aurez passé à réfléchir à votre univers, les joueurs vous prendront à contre-pied. Et il n’y a rien de mal à ça. Mais si vous développez de bonnes habitudes et utilisez des techniques telles que le 7-3-1, vous éviterez de mieux en mieux ces situations. Au bout d’un moment, vous n'aurez même plus besoin du 7-3-1 ; vous développerez votre propre boîte à outils pour poser des questions à l’univers, vos propres méthodes pour créer un monde sans trous à la volée. Et c’est à ce moment que vous saurez que vous êtes sur le point de devenir un très bon MJ.
Source:
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