Veaux, vaches, cochons, rats et autres charançons étaient poursuivis en justice, mais pas aussi souvent qu'on ne le croit...
Des charançons ont détruit vos récoltes? Des cochons ont mutilé vos enfants? Vous souhaitez vous venger de ces viles créatures? En Europe, au Moyen Âge, on pouvait tout simplement les traîner en justice. Ils devaient alors faire face à des sentences qui allaient de la mutilation pure et simple à l'excommunication. Ou en tout cas, c'est ce que prétendent de nombreux rapports, même si les preuves formelles de l'existence de telles actions de justice sont plus qu'insuffisantes.
Et pourtant, la pratique absurde d'intenter des procès à des animaux comme s'il s'agissait d'êtres humains subsiste encore aujourd'hui.
Pour Sara McDougall, professeure de droit criminel au John Jay College, le principal problème pour comprendre cette étrange pratique provient des sources:
«Les sources que nous possédons sont des écrits d'érudits du XIXe siècle qui ne prenaient pas vraiment le temps de donner des explications sur les origines des informations qu'ils trouvaient. Comme toujours avec les archives médiévales, on sait qu'une bonne partie de ces histoires ont été inventées, ou tout simplement utilisées en classe pour éviter que les étudiants ne s'endorment.»
McDougall raconte également que, en suivant un raisonnement encore plus étrange, un autre cas de faux procès contre des animaux mettant en scène des rats «avait été inventé pour diffamer l'avocat qui était censé être chargé de la défense des rongeurs».
Tribunaux laïques et ecclésiastiques
Mais même si de nombreux exemples de faux procès d'animaux ont été découverts, McDougall assure que certains ont bien eu lieu.
La source la plus détaillée des études de cas (qu'ils soient réels ou imaginaires) que nous possédons pour la pratique médiévale (entre le XIIIe et le XVIe siècles) des procès contre les animaux est le traité d'E.P. Evan sur le sujet, Poursuites criminelles et peine capitale des animaux, publié en 1906. Evans y distingue deux types de procès d'animaux:
«Il existe une distinction technique très fine entre les Thierstrafen et les Thierprocesse: les premiers concernent les peines capitales infligées par des tribunaux laïques à des cochons, des vaches, des chevaux et tout autre animal domestique comme punition pour homicide; les derniers regroupent les procédures judiciaires entamées par des tribunaux ecclésiastiques à l'encontre des rats, des souris, des sauterelles, des charançons et des autres nuisibles pour les empêcher de dévorer les récoltes et pour les bannir des vergers, des vignes et des champs cultivés grâce à l'exorcisme et l'excommunication.»
Autrement dit, la plupart des grands animaux étaient poursuivis pour meurtre et finissaient exécutés ou exilés, alors que les petits animaux nuisibles étaient le plus souvent excommuniés ou dénoncés par un tribunal religieux. En revanche, tous semblent être passés un jour devant un juge.
Excommunications et condamnations à mort
Le livre d'Evans établit une liste de 200 procès dans lesquels des créatures de toutes tailles ont été poursuivies pour pléthore de raisons.
La plupart des plaintes à l'encontre des petits animaux pour l'infestation ou la destruction des récoltes se soldait souvent par une excommunication de l'Église, ou une dénonciation officielle. Evans explique que tout cela était en général orchestré pour que les gens aient moins de scrupules à les exterminer. Les charançons, les limaces et les rats étaient aussi considérés comme des créatures de Dieu. Ainsi, la dévastation qu'ils provoquaient devait forcément être le fait de la volonté de Dieu. Les détruire aurait donc constitué un acte à l'encontre de la volonté de Dieu et de ses créatures. En revanche, si ces créatures comparaient devant un tribunal et étaient excommuniées (ou condamnées dans le cas des animaux et des insectes), on se sentait tout de suite moins coupable.
Un tel procès a eu lieu dans les années 1480. Il impliquait le cardinal-évêque du diocèse d'Autun, en France, ainsi que des limaces qui détruisaient les terrains qui étaient sous sa responsabilité. Il a ordonné trois jours de procession quotidienne durant lesquels on ordonnait aux limaces de partir sous peine d'être maudites, ce qui était l'équivalent d'une autorisation pour les exterminer.
Un cas similaire est censé avoir eu lieu un an plus tard. Il s'agissait alors de taureaux, de cochons, de chiens, de vaches et de chèvres. En théorie, les animaux incriminés auraient pu être conduits au tribunal pour leur procès. Mais la sentence s'est avérée plus sévère pour ces quelques bestiaux. Les cochons recevaient le plus souvent les peines les plus lourdes, pour une raison très simple. «Ils tuaient des gens», explique McDougall.
À une époque où les animaux étaient souvent en liberté dans les rues et où les enfants passaient beaucoup de temps dans les champs, les accidents étaient fréquents. Evans décrit un cas plutôt typique de 1379. Deux groupes de porcs étaient en train de manger, quand un trio de cochons s'est soudainement affolé et a chargé le fils du fermier, qui a plus tard succombé à ses blessures. L'ensemble des cochons des deux groupes ont été poursuivis et, «après application régulière de la loi, condamnés à mort». Par chance, seuls les trois cochons responsables ont été exécutés, après que tous les autres ont été reconnus complices puis pardonnés.
En prison comme les humains
Dans la plupart des cas, le tribunal s'efforçait de juger les animaux avec autant d'attention que les humains, jusqu'à leur sentence. Tout comme certains meurtriers de l'époque, les animaux condamnés (encore une fois, des cochons dans la plupart des cas) étaient condamnés de manière horrible pour leurs crimes. Evans décrit un cochon en 1266, brûlé sur la place publique pour avoir mutilé un enfant. Un autre en 1386 est «mutilé à la tête et aux pattes avant, avant d'être pendu, pour avoir arraché les bras et la tête d'un enfant».
La zoophilie était également une accusation occasionnelle qui pouvait conduire au procès d'un animal, même si cette accusation était souvent en faveur de l'animal. «L'homme comme l'animal pouvait être exécuté, mais, dans certains cas, ils ont conclu que ce n'était pas la faute de l'animal, qu'il n'avait jamais consenti au rapport, explique McDougall. Quand c'était le cas, l'animal n'était pas puni.»
D'autres animaux étaient emprisonnés tout comme des criminels humains. Quand ça arrivait, comme personne ne croyait vraiment que l'animal était parfaitement responsable de ses actions, le propriétaire devait payer son incarcération comme une forme de punition indirecte.
Aussi barbares, étranges et débiles que puissent nous paraître les procès d'animaux, on en trouve encore aux temps modernes. En 1916 dans le Tennessee, une éléphante prénommée Mary a assassiné son dresseur et a été pendue à l'aide d'une grue. En 2008, en Macédoine, un ours a été condamné après avoir volé du miel à un apiculteur. Le Service des parcs nationaux a été forcé de payer 3.500 dollars de dommages et intérêts. Il semblerait que la soif de justice de l'homme, aussi irrationnelle et absurde qu'elle puisse être, ne connait toujours aucune limite.