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Depuis 600 ans, la quarantaine n'est absolument pas une solution
Pour faire face au coronavirus, depuis quelques jours, les personnes en provenance de Chine ou de certaines régions d'Italie sont régulièrement invitées à rester chez elles et à ne pas se rendre sur leur lieu de travail. Le gouvernement vient par ailleurs d'interdire les manifestations et rassemblements regroupant plus de 5 000 personnes, pour limiter les risques de transmissions, et certains lieux publics ont préféré fermer préventivement par mesure de sécurité.

En France, aucune quarantaine ne semble cependant être au programme, contrairement à la Chine, où elle a été instaurée à Wuhan, la ville de 11 millions d'habitants où s'est déclaré le foyer de l'épidémie du Coronavirus (Covid-19). "C'était une quarantaine collective faite n'importe comment, rappelle Patrick Zylberman, professeur émérite d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), avec des gens qui ont fui dès le départ, c'était sans efficacité aucune". De fait, près de 5 millions d'habitants de Wuhan sont parvenus à quitter la mégalopole avant qu'elle ne soit verrouillée par les autorités chinoises.


Une méthode vieille de 600 ans

Malgré six siècles d'existence au compteur, la méthode n'a pas toujours fait ses preuves. "La quarantaine n'est absolument pas une solution. Le problème, c'est que très souvent, comme c'est le cas aujourd'hui, il n'y a pas de moyen préventif, il n'y a pas de traitement. Les autorités ne savent pas comment réagir, alors pour avoir l'impression de faire quelque chose, on organise des quarantaines. Mettre des clôtures, c'est encore ce qu'il y a de plus facile", regrette Patrick Zylberman.

Si les épidémies existent depuis que l'homme s'est sédentarisé (la première à être décrite est nommé "peste d'Athènes" et remonte à l'an 428 avant J.-C.), il faut attendre le XIVe siècle pour que soit imaginée la méthode de la quarantaine. Avant cela, la stratégie consistait à prendre la fuite et à espérer échapper à l'épidémie.

En 1374, les premières méthodes de quarantaine sont ainsi imaginées à Raguse (devenue Dubrovnik). Face à l'épidémie de peste noire qui sévit en Orient, les édiles de la ville décident d'imposer une période d'isolement de 30 jours : les personnes en provenance de lieux infectés doivent alors passer un mois sur une île proche avant de pouvoir pénétrer la ville. Peu à peu, la méthode s'étend à l'ensemble des villes portuaires de l'Adriatique. C'est à Venise que la durée de la quarantaine est portée à 40 jours, selon la doctrine hippocratique qui veut qu'une maladie d'une durée supérieure à 40 jours soit une maladie chronique. Elle se confond ainsi avec les 40 jours du carême, conformément à la liturgie de l'Eglise catholique.

L'ensemble des ports méditerranéens, comme Marseille en 1383, finissent par adopter ce principe et mettent à l'isolement les équipages fraîchement débarqués de zones à risque. Le principe des 40 jours n'est cependant pas toujours respecté, rappelle Patrick Zylberman : "Certains ports avaient institué des quarantaines de 40 jours, d'autres de 20 jours. D'autres, comme Marseille, sont allés parfois jusqu'à 100 jours. C'était le désordre le plus complet".

Pour faciliter le principe de la quarantaine, on invente alors les lazarets, au cours du XVe siècle. Le premier est créé sur un îlot de la lagune de Venise, en 1423, rappelle le docteur en médecine Pierre-Louis Laget dans son étude Les Lazarets et l'émergence de nouvelles maladies pestilentielles au XIXe et au début du XXe siècle. Ces structures ont alors pour vocation d'héberger les équipages et passagers des navires, ainsi que leur marchandises, soupçonnés d'avoir été contaminés par la peste. Enfermés derrière des murs épais, sans rien d'autre à faire qu'attendre, les "malades" espéraient surtout s'évader.

Le commerce maritime n'est cependant pas le seul à imposer le principe de la quarantaine : au cours du XVe siècle, cette méthode se répand dans les terres. Certaines villes commencent également à instaurer un "billet de santé", sorte de passeport garantissant que les voyageurs proviennent d'une ville saine.


De la "quarantaine" au "cordon sanitaire"

Mais le système de la quarantaine trouve vite ses limites. "Il faut bien comprendre que ces quarantaines étaient des dispositifs temporaires, c'est-à-dire qu'on les installait au moment où l'épidémie faisait le plus de ravages et dès que ça se calmait on démontait le dispositif, raconte Patrick Zylberman. C'était extrêmement dommageable pour les échanges et le commerce. Il ne fallait pas que ça dure trop longtemps."

La méthode, surtout, ne brille pas par son efficacité :

Il y avait des fuites un peu partout. Tant dans les quarantaines maritimes, c'est-à-dire dans les ports, que les quarantaines terrestres, c'est-à-dire dans les villes, elles n'étaient jamais respectées. C'est évidemment un système qui a beaucoup de trous. Et il suffit de quelques personnes qui passent à travers les mailles du filet pour aller répandre le mal, comme la peste, un peu plus loin. - Patrick Zylberman

Ainsi, en 1720 à Marseille, le navire Grand-Saint-Antoine, revenu d'Orient avec une cargaison d'étoffes précieuses, accoste à Marseille. Le Capitaine signale le décès de huit membres d'équipages. Pourtant les fameuses étoffes - dont une partie appartient au premier échevin de la ville - sont déchargées, et les membres de l'équipage ne passeront que deux semaines sur l'île de Jarre, destinée à isoler les malades potentiels. Qu'importe, les puces qui infestent les rats du navire ont d'ores et déjà contaminé les tissus, et l'épidémie ne tarde pas à se transmettre à la population. 40 000 personnes, soit près de la moitié des habitants de Marseille à l'époque, périront.

L'épidémie ne s'arrête cependant pas là et s’étend à l'ensemble de la Provence. Pour tenter de l'endiguer les autorités ordonnent l'édification d'un mur de 27 kilomètres de long. Le "mur de la peste" est érigé en 1721 entre la rivière de la Durance et le mont Ventoux :

En 1720 je traçois depuis Saint-Hubert jusques à Saint-Ferreol les limites entre le Comtat Venaissin et la Provence, une ligne de 18 000 toises dont 6 000 toises faites avec un parapet de terre et un fossé au devant, et 2 000 toises avec des murs faits en pierre sèche. - "Mémoire des ouvrages que j'ai faits et ordonnés depuis 1700" par Antoine d'Allemand

Des gardes sont placés le long de cette muraille pour empêcher des personnes potentiellement infectées de le franchir. Le "mur de la peste" préfigure ainsi l'existence des "cordons sanitaires", ces frontières surveillées par des gardes et dont le but est de contrôler les entrées et sorties des foyers d'épidémie.

Si l'épidémie de 1720 est la dernière grande occurrence de la peste noire qui a décimé l'Europe plusieurs siècles durant, les cordons sanitaires vont ensuite être mis en place afin d'endiguer les épidémies de choléra ou de fièvre jaune :

Il était très compliqué d'empêcher les gens de fuir, de s'évader. Avec les cordons sanitaires, il est autorisé d'ouvrir le feu sur les fuyards. C'est par exemple le cas de l'Autriche, qui a mis en place le "Pestkordon" entre les années 1730 et 1880 : c'est une frontière militaire, une "militärgrenze", où les soldats avaient le droit et le devoir de tirer sur les fuyards. - Patrick Zylberman

Le terme de "cordon sanitaire" naît en 1821, lorsque la France envoie 30 000 soldats garder la frontière espagnole afin d'empêcher les personnes contaminées par la fièvre jaune, qui fait rage à Barcelone, de franchir les Pyrénées. Mais ces mesures drastiques conduisent surtout les populations à se révolter :

Le choléra a engendré dans les années 1830 et jusqu'à la fin du XIXe siècle, une très grande anxiété tant chez les populations que chez les gouvernants. C'est à ce moment-là qu'on a resserré les cordons sanitaires, ce qui a abouti à des violences incroyables. Les gens étaient rendus furieux et par l'épidémie elle-même, et par ces quarantaines gardées militairement. Il y a des épisodes assez atroces : par exemple dans la région de Saratov, sur la Volga, lors d'une épidémie de choléra, un cordon sanitaire est imposé. Les violences ont dégénéré jusqu'à ce que la population éventre un médecin. - Patrick Zylberman


Une mesure contre-productive

Qu'il s'agisse de "quarantaine" ou de "cordon sanitaire", les effets de ces mesures d'isolement sont surtout contre-productives dès lors qu'elles atteignent une certaine échelle :

Les quarantaines collectives sont assez dangereuses puisqu'on mélange des personnes asymptomatiques, dont on sait pas si elles sont contagieuses ou non, avec des personnes saines. Si vous êtes enfermé dans un local avec d'autres personnes sans savoir si elles sont contagieuses ou pas, vous risquez vous-même d'être contaminé. Dès lors le but de l'opération est complètement raté puisqu'il revient à propager le mal au lieu de le contenir.

Est-ce à dire que les quarantaines sont complètement inutiles ? Elles peuvent avoir une efficacité "très relative" à condition d'être instaurées très tôt, complète Patrick Zylberman : "Ça permet non pas de contenir l'épidémie, non pas de la stopper, mais d'en ralentir la progression. Cela aurait pour effet d'abaisser la hauteur du pic de l'épidémie, d'avoir moins de cas confirmés et donc également de faire en sorte que l'épidémie dure le moins de temps possible".

Petit à petit, à mesure que la médecine progresse, on réalise l'inefficacité des "quarantaines" géographiques : non seulement les personnes saines sont plus sujettes à la contamination, mais surtout l'isolement et la colère incitent les populations à tenter de s'échapper.

S'agirait-il donc d'isoler uniquement les personnes malades, avec une quarantaine au cas par cas ? Même là, l'effet reste contre-productif :

La quarantaine individuelle peut être efficace. Si vous avez été exposé au virus, on vous dit ainsi de vous calfeutrer au fond de votre appartement pendant 14 jours. Ça peut avoir une utilité si vous retirez quelqu'un qui a été exposé au virus de la communauté. Mais en même temps, c'est comme ça qu'on a procédé à Toronto en 2003 avec le SRAS : d'après les enquêtes téléphoniques effectuées à la fin de l'épidémie, pratiquement 98 pour cent des personnes interrogées se plaignaient de symptômes dépressifs, ennui, angoisse, anxiété, etc. C'est très difficilement supportable. - Patrick Zylberman

Si peu supportable que d'après les spécialistes, certaines personnes contaminées pourraient préférer prendre le risque de se cacher ou de ne pas déclarer leurs symptômes aux autorités compétentes...


Des quarantaines au XXIe siècle ?

En France, la dernière quarantaine date de 1955 et avait pour objectif d'endiguer une épidémie de variole qui sévit à Vannes. En l'espace de quelques jours, alors que la ville est placée sous quarantaine, 250 000 personnes de la circonscription de Vannes sont vaccinées. Seules 98 personnes sont contaminées, et l'épidémie fait 20 morts. Depuis, il n'a pas été question de quarantaine sur le territoire français. Il faut aller voir à l'internationale pour constater, cependant, que la tentation n'est pas si loin. En 2013-2015, l'épidémie d'Ebola qui a frappé l'Afrique de l'Ouest a ainsi conduit à des mesures d'isolement, se souvient Patrick Zylberman :

Certains États ont essayé de fermer leurs frontières avec la Guinée par exemple, le Sierra Leone et le Liberia. Et puis il y a eu, à Monrovia au Liberia ou à Freetown au Sierra Leone, des essais pour clore des périmètres dans lesquels on plaçait les gens que l'on pensait contagieux... Tout ça n'a pas duré car ça a produit, comme toujours, le même effet : les gens sont devenus furieux et ont tenté de fuir la quarantaine.

En France, face au Coronavirus, il n'est pour l'instant pas question de quarantaine mais uniquement de mesures de confinement ou d'isolement temporaire. Patrick Zylberman loue d'ailleurs le traitement qui est fait de l'épidémie actuelle :

Je suis très heureusement surpris par la façon dont se comportent le ministre et le directeur général de la Santé. Le discours est équilibré et raisonnable : on ne cherche pas à effrayer les gens et on ne cherche pas non plus à baratiner en disant que tout est sous contrôle.

Parmi les nombreuses mesures mises en place pour endiguer le risque d'une épidémie majeure, les autorités ont décidé d'inciter à la prudence et de ne pas prendre de risque : depuis le 1er février, les individus soupçonnés d'avoir été en contact avec une personne atteinte du coronavirus seront indemnisées par la Sécurité sociale.