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Les femmes pendant la Révolution française
L’historien Jules Michelet écrivait dans son Histoire de la Révolution française « Les hommes ont pris la Bastille, les femmes ont pris le roi », soulignant ainsi le rôle moteur des femmes dans les événements révolutionnaires. Si de grandes figures comme Olympe de Gouges, Charlotte Corday, Madame Roland et Théroigne de Méricourt sont restées dans les mémoires, elles ne résument pas à elles seules la condition féminine et les attentes sociales et politiques des femmes pendant cette période. L’ouvrage de Christine Le Bozec Les femmes et la Révolution (1770-1830), permet de revenir sur certains lieux communs à propos de la place et du rôle des femmes au cours de la Révolution française.

Le premier cliché concernant cette période renvoie à une supposée liberté des femmes du XVIIIe siècle que les révolutionnaires auraient cherché à réduire : « Il est courant, voire banal, […] d’affirmer qu’au XVIIIe siècle les femmes étaient libres, pour ne pas dire libérées. La Révolution française les aurait privées de leurs droits, de leurs acquis et des avancées dont elles pouvaient se prévaloir […]. » Ces femmes indépendantes tiennent des salons où se succèdent savants, artistes, intellectuels et philosophes. Or, elles ne sont pas représentatives de la condition féminine dans son ensemble, constituant plus l’exception que la règle.

De même, si ce sont les Parisiennes qui ont concentré la plupart des études sur le sujet, il convient de souligner que « l’action des femmes au cours de la Révolution se déroula bien sur l’ensemble du territoire français », donc de ne pas voir dans les mouvements féminins provinciaux une simple copie de ceux parisiens mais de leur rendre au contraire leur originalité et leur singularité.


Une amélioration contrastée de la condition féminine

Les femmes obtiennent un certain nombre de droits au cours des premières années de la Révolution, entre 1789 et 1793. Les législateurs révolutionnaires leur confèrent une véritable existence civile : des droits civils et une personnalité juridique propre leur sont reconnus. En somme, les femmes ne sont plus d’éternelles mineures au regard de la loi. Signe de cette évolution, les tribunaux de famille deviennent les seuls aptes à régler les litiges et conflits familiaux à partir d’août 1790. La possibilité pour un mari de faire enfermer en toute liberté sa femme, voire ses enfants, disparait.

Par ailleurs, la réforme du mariage modifie profondément les rapports hommes/femmes. En faisant du mariage civil un simple contrat reconnu comme légitime face au mariage religieux, les révolutionnaires rompent avec la vision traditionnelle d’un mariage que nul ne pouvait dissoudre. La possibilité de divorcer, y compris par consentement mutuel, s’offre donc aux couples.

Qui plus est, l’Assemblée nationale proclame l’égalité des époux tant dans leur vie commune qu’en cas de séparation. Le but est alors d’assurer une protection civile aux femmes et de favoriser les remariages et la natalité en facilitant le divorce. Après la réforme du mariage, c’est celle de la succession qui améliore grandement le sort des femmes. En effet, l’Assemblée institue une égalité successorale entre garçons et filles en avril 1791. Le modèle qui émerge de cet ensemble de réformes est celui d’un ménage dont la gestion des biens est partagée entre les deux époux.

Loin d’avoir constitué un net recul de la condition féminine, la Révolution, dans ces années 1789-1793 permet au contraire une amélioration du statut des femmes : « Si cette période fut loin d’être un moment de totale émancipation, il n’en demeure pas moins qu’elle fut la seule où les femmes acquirent des droits civils, que les régimes suivants s’empressèrent de restreindre. »

En miroir de ces progrès sur le plan civil, aucun droit politique n’est accordé aux femmes. Pis, les révolutionnaires manifestent très tôt une volonté de restreindre le corps politique aux seuls hommes et d’en exclure les femmes. Le statut de citoyenne leur est refusé ou plutôt une citoyenneté politique pleine et entière.

En effet, malgré les demandes portées par des militantes sans-culottes, le droit de porter des armes, d’intégrer la garde nationale et de voter leur est refusé. Alors que des militantes féministes, à l’image d’Olympe de Gouges et Théroigne de Méricourt, réclament cette citoyenneté, les législateurs « s’ar-bout[aient] sur leurs droits politiques, confirmant la prééminence d’un corps politique strictement masculin. » En somme, le modèle des révolutionnaires était celui d’une existence civile autonome des femmes mais en-dehors de toute possession de droits politiques, soit des « citoyennes sans citoyenneté ».


De l’investissement à la relégation de l’espace public

Cependant, l’absence de reconnaissance n’empêche pas certaines femmes d’occuper l’espace politique. Elles sont en effet au c½ur de plusieurs événements révolutionnaires majeurs. En octobre 1789 elles vont à Versailles se plaindre de l’absence de pain et réclamer armes et munitions auprès du roi et de l’Assemblée. À l’issue de ces journées, le roi est ramené à Paris. C’est là un moment décisif : « Les femmes venaient ainsi de réussir une entrée en scène fracassante et une irruption spectaculaire sur la scène politique, donnant un cap nouveau à la Révolution. »

De plus, les mouvements politiques féminins se structurent progressivement : cinquante-six clubs de femmes apparaissent en province et à Paris entre 1789 et 1793. En parallèle, les sociétés populaires sont investies par les femmes qui n’hésitent pas à prendre la parole et à participer aux débats. Leur prise de parole est difficile car les femmes sont souvent accusées d’hystérie et de « troubler le bon ordre des séances ». Il n’en demeure pas moins que leur parole se politise et trouve dans ces clubs et sociétés un moyen de se faire entendre.

Puisqu’elles sont présentes dans les clubs politiques, dans les sociétés populaires et dans les grandes journées révolutionnaires, les militantes féminines se lient rapidement avec les plus radicaux des révolutionnaires réclamant de profondes réformes sociétales. Des militantes comme Pauline Léon ou Claire Lacombe demeurent célèbres pour leur activisme. Elles fondent en 1793 la Société des républicaines révolutionnaires, groupe exclusivement féminin qui porte de nombreuses revendications politiques (droit de vote, droit de porter les armes) et économiques.

L’année 1793 constitue un tournant : elle est à la fois l’apogée du mouvement féminin, alors en pleine structuration et en pleine affirmation, et le début de l’exclusion progressive des femmes de l’espace public. Partiellement le fruit d’une vision machiste de la société, cette exclusion est en réalité très complexe : elle s’intègre à la lutte que mène la Convention nationale contre les sans-culottes et les plus radicaux, perçus comme d’éventuels concurrents dangereux.

Or les mouvements féminins sont très liés aux plus radicaux des révolutionnaires. Les militantes féminines sont perçues comme l’élément le plus faible du mouvement radical, du fait de préjugés sexistes largement partagés dans la société, y compris chez leurs alliés masculins. Ce sont donc elles que visent d’abord les députés avant de s’en prendre, quelques mois plus tard, à leurs homologues masculins. À l’automne 1793, la Convention décide ainsi de dissoudre tous les clubs et toutes les sociétés de femmes.

Le processus de relégation des femmes de la sphère publique est lancé. Les militantes tentent de résister mais la répression politique a progressivement raison de leur opposition. Signe, parmi d’autres, de cette exclusion, les gouvernements favorisent l’emploi de « Madame » ou « Mademoiselle » au détriment de « citoyenne » : les premiers renvoient au statut marital des femmes alors que le second est trop politique. Ce processus s’accompagne d’un net recul des droits des femmes, particulièrement pendant la Restauration. Les années 1830 voient cependant de nouvelles revendications féminines éclore autour, notamment, de l’obtention de droits politiques et de l’accès à la citoyenneté.


La diversité de l’expression féminine

Cependant, les militantes féminines, aux actions et aux revendications centrales, ne résument pas à elles seules toute la complexité de la condition féminine. Ces militantes sont en réalité minoritaires. La majorité des femmes, particulièrement celles issues des classes populaires, accordent moins d’importance aux questions politiques qu’à celles, primordiales, des subsistances.

En effet, le ravitaillement imparfait des marchés, notamment parisiens, constitue pendant toute la décennie révolutionnaire un problème majeur pour les autorités et une source constante d’inquiétude pour les femmes. En conséquence, les femmes chargées de nourrir la famille manifestent leur mécontentement parfois violemment. Les sources de l’époque mettent bien en lumière les longues queues qui se forment autour des boulangeries et des boucheries. Aussi, « poussées par leur sensibilité aux problèmes frumentaires, [elles] participèrent souvent aux émeutes de la faim, recourant à la violence. »

Enfin, les femmes qui entrent en politique ne sont pas toutes révolutionnaires. Il ne faut pas négliger l’importance des femmes dans la Contre-Révolution et, plus largement, dans tous les mouvements d’opposition à la Révolution. Des femmes sont présentes en Vendée, parmi les Chouans, ou dans tous les espaces concernés par une résistance aux dynamiques révolutionnaires, Difficilement identifiables, elles nous sont accessibles le plus souvent que très imparfaitement, à la faveur des sources judiciaires traitant de leur répression.

En définitive, la condition féminine est plus complexe encore dans un contexte troublé où les référents politiques changent et où les structures sociales traditionnelles de l’Ancien Régime s’effondrent. La Révolution ouvre la voie à un investissement de l’espace politique par des groupes sociaux qui en étaient plus ou moins éloignés jusque-là. Loin d’être passives, les femmes y jouent un rôle majeur. En atteste l’influence de militantes féminines telles qu’Olympe de Gouges, et bien qu’elles fussent minoritaires, eurent une influence décisive sur les mouvements féministes postérieurs.