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Petites réflexions sur le confinement et le verbe « confiner »
Il faut être attentif au verbe « confiner » : de manière transitive, il indique une exposition à une limite ; tandis que de manière intransitive il fait signe vers une contrainte à rester dans certaines limites. Il dit à la fois l’exposition et le retrait ; la venue en présence et l’absentement. Dans ce verbe même apparaît une solitude retirée se donnant par-delà toute limite. La vie la plus vivante n’est possible que dans le retrait de la vie. L’éthique suppose toujours une élection m’intimant à agir moi, et non un autre, pour un autre menacé : elle insinue donc toujours déjà une solitude, par laquelle je suis le seul à pouvoir répondre à l’autre et de l’autre, et par laquelle, tout encore, solitude doublée par la solitude, je suis seul devant mes responsabilités. Ce qui appert, par conséquent, dans ce confinement, c’est cette cosmétique du monde où l’immonde ordonne un nouvel ordre de coappartenance harmonieux confinant, dans le quant-à-soi d’une vie s’immunisant de la mort, à une vie commune. Le confinement confine à la solidarité.

Ce qui apparaît dans ces communautés s’immunisant contre un virus en se confinant, c’est une logique paradoxale : plus je vis pour la vie, plus je suis seul, plus je suis solidaire. Le quant-à-soi fait communauté. Le retranchement tranche avec l’isolationnisme et ouvre à l’exposition éthique. La solidarité n’est pas permis pas la cohue mais dans le retrait et la solitude. Autrui ne peut m’affecter dans sa faiblesse que lorsque, seul avec moi-même, je me rends compte que je suis seul avec de l’autre, seul et déjà un autre, « soi-même comme un autre » (Ric½ur). La confinement estl’expérience de ce que la solitude confine à la solidarité. Car qu’est-ce que la solitude ? Sinon ce temps long où étant face à moi-même, sans divertissement, je pense à ma vie, et donc à ma mort. Soyons pascalien : dans la solitude se révèle l’ennui – que nous cherchons à fuir tant il plus facile de vivre avec un bandeau devant les yeux –, ce temps trainant en longueur, que l’allemand dit mieux que le français – Langweile –, et qui révèle par un twist surprenant que, le temps ne passant pas, ce n’est pas le temps qui passe mais nous qui passons. D’où la fuite devant le temps présent et tout ce qui est ennuyeux ; d’où le divertissement constant, et les réseaux négligents ; d’où les passe-temps afin d’oublier que c’est nous qui y passons. Or c’est dans cette solitude, où chacun a pris conscience de sa mort, ou de sa mortalité, que s’est organisée une solidarité inédite. Pour être tout entièrement à l’autre, je dois être tout entièrement seul. Seul avec moi-même, je comprends que nous sommes tous seuls face à notre destin et à la commune limite qu’est notre mort. Le solidarité suppose la solitude ; comme le monde suppose l’ermitage. Générosité du quant-à-soi ; monde s’unissant sans mondanité. Pour protéger des vies, dit-on, il faut avant tout se protéger soi.

Source: http://unphilosophe.com/...