Le 13 juillet 1793, Charlotte Corday, 24 ans, assassine Marat dans son bain. Expliquant lors de son procès avoir voulu « sauver son pays », elle sera guillotinée quatre jours plus tard, devenant une figure célèbre de la période révolutionnaire.
Charlotte Corday : hier inconnu, ce nom est sur toutes les lèvres en ce 16 juillet 1793. C'est ce jour-là que la jeune femme, de son vrai nom Marie-Anne Charlotte de Corday d'Amont, va être jugée par le tribunal révolutionnaire pour avoir, trois jours auparavant, assassiné à Paris le député montagnard Jean-Paul Marat, directeur du journal républicain L'Ami du peuple.
Le Mercure Universel du 19 juillet raconte comment cette femme de 24 ans, issue d'une famille normande noble et sans fortune, est parvenue à se faire introduire chez Marat. Lequel, souffrant, l'a reçue dans sa baignoire, où Corday l'a tué avec un couteau de cuisine.
Tribunal Criminel extraordinaire du 17 juillet
Charlotte Corday a comparu aujourd’hui devant le tribunal révolutionnaire [...]. Ladite Corday a tiré de son sein le couteau qu'elle avait acheté le matin au palais de l’Égalité, et aussitôt en a porté un coup à Marat ; lequel coup a pénétré sous la clavicule droite du cou, entre les premières et secondes vraies côtes ; et cela si profondément, que l'index a pu facilement pénétrer de toute sa longueur, à travers le poumon blessé, du quel coup le représentant du peuple est mort presqu'à l'instant.
Maîtrisée par la compagne de Marat et par les gens de maison, puis aussitôt arrêtée, Charlotte Corday est emprisonnée à la Conciergerie. Lorsqu'elle comparaît, le 16 juillet, elle fait face au président du tribunal, Jacques Bernard Marie Montané, et à Fouquier-Tinville, qui tient la place d'accusateur public.
La jeune femme ayant confessé son crime, il va s'agir de déterminer pourquoi elle l'a commis, et surtout si elle a agi seule ou sur les ordres d'opposants à Marat. Le Républicain français du 23 juillet fait un compte-rendu détaillé du procès :
« Le président. Qui vous a engagé à commettre cet assassinat ?
L'accusée. Ses crimes.
Le président. Qu’entendez-vous par ses crimes ?
L'accusée. Les malheurs dont il a été la cause depuis la révolution.
Le président. Quels sont ceux qui vous ont engagé à commettre cet assassinat ?
L'accusée. Personne ; c’est moi seule qui en ai conçu l’idée. »
Les témoins défilent : la portière de la maison de Marat, un dentiste locataire de cette même maison, le garçon de l'hôtel de la Providence, où logeait la jeune femme... Dans le même temps, le président tente de déterminer les liens de l'accusée avec la communauté de Girondins qui, opposés aux Montagnards dont faisait partie Marat, ont fui Paris après l'insurrection du 31 mai au 2 juin et se sont réfugiés dans le Calvados.
C'est en effet à Caen que Charlotte Corday, sympathisante girondine, est entrée en contact avec ces derniers. C'est là aussi que cette femme a développé, comme ses témoignages tendent à le prouver, une véritable haine contre Marat, l'un des principaux responsables de l'écrasement des Girondins. Appelant régulièrement à la violence dans L'Ami du peuple, Marat symbolise à ses yeux les dérives de la Révolution.
Elle a choisi seule de recourir au meurtre, comme elle l'explique lors de son procès. L'audience se poursuit :
« Le président. Quelles étaient vos intentions en tuant Marat ?
L'accusée. De faire cesser les troubles, et de passer en Angleterre, si je n'eusse point été arrêtée [...]. Je savais qu'il pervertissait la France. J'ai tué un homme pour en sauver cent mille. C'était d'ailleurs un accapareur d'argent. »
On donne ensuite lecture de deux lettres que Corday a écrites lors de sa détention. La première est adressée à Barbaroux, ancien député de la Convention opposé à Marat et Robespierre, qui fait partie des personnalités réfugiées à Caen. Le Républicain français reproduit ce texte dans lequel la meurtrière s'explique longuement sur son geste :
« À Paris, on ne conçoit pas comment une femme inutile, dont la plus longue vie ne serait bonne à rien, peut sacrifier sa vie de sang-froid, pour sauver son pays. Je m'attendais bien à mourir dans l'instant [...]. Mais qui sauve la patrie, ne s'aperçoit pas de ce qu'il en coûte.
Puisse la paix s'établir aussi tôt que je le désire ! Voilà un grand criminel à bas ; sans cela nous ne l'aurions jamais eu. Je jouis de la paix depuis deux jours ; le bonheur de mon pays fait le mien [...].
J'ignore comment se passeront les derniers moments de ma vie, et c'est la fin qui couronne l’½uvre. Je n'ai pas besoin d'affecter d'insensibilité sur mon sort ; car jusqu'ici je n'ai pas la moindre crainte de la mort : je n'estimai jamais la vie que par l'utilité dont elle devait être. »
La seconde lettre lue lors du procès est adressée par Charlotte Corday à son père :
« Pardonnez-moi, mon cher papa, d'avoir disposé de ma vie sans votre consentement. J'ai vengé bien d'innocentes victimes, j'ai prévenu bien des désastres ; le peuple, un jour désabusé, se réjouira d'être délivré d'un tyran [...].
Adieu, mon cher papa : je vous prie de m'oublier, ou plutôt de vous réjouir de mon sort. Vous connaissez votre fille ; un motif blâmable n'aurait pu la conduire. J'embrasse ma s½ur, que j'aime de tout mon c½ur, ainsi que tous mes parents.
N'oubliez pas ce vers de Corneille : “Le crime fait la honte, et non pas l'échafaud”. »
Fait peu connu : Charlotte Corday était l'arrière-arrière-arrière-petite-fille du dramaturge Pierre Corneille, l'auteur du Cid.
Pour le jury, elle a agi de façon préméditée, avec intention criminelle : la sentence sera la mort. Le lendemain, 17 juillet, elle est amenée, sur une charrette, et vêtue de la chemise rouge réservée aux assassins, depuis la Conciergerie jusqu'à la place de la Révolution (actuelle place de la Concorde), où l'attend la guillotine. Une grande foule assiste à son passage.
Le Républicain français raconte ses derniers moments :
« En allant à l’échafaud, Corday n'a entendu sur son passage que des applaudissements et des bravo. Un sourire est le seul signe par lequel elle a manifesté ses sensations. Montée sur le théâtre de son supplice, son visage avait encore la fraîcheur et le coloris d'une âme satisfaite.
Le fatal couteau a tranché sa tête. Un nommé Legros, après l'avoir saisie pour la montrer au peuple, lui a donné plusieurs soufflets. Cet acte de lâcheté a fait murmurer le peuple, et a été puni par le tribunal de police. »
Le 20 juillet, Les Annales patriotiques et littéraires de la France commentent « l'affaire Corday » :
« Les grands crimes et les actes héroïques de vertu supposent également cette force d’âme et de caractère qui semble une exception à la loi commune ; il est même possible qu’il y ait une telle contradiction entre l’action et le motif, que l’une inspire l’horreur, et l’autre l’admiration [...].
Tel est, si je ne me trompe, l’effet qu’ont produit les déclarations et l’attentat de Charlotte Corday [...]. Tout lui a persuadé que la guerre civile était près d'éclater, et que Marat attirait ce fléau sur sa patrie ; elle a cru que tout cela tenait à l'existence de Marat, et que si Marat n'existait plus, la patrie serait sauvée.
Alors elle fait abnégation d'elle-même, elle oublie qu'elle est jeune, qu'elle est belle […]. Qu'elle soit déchirée par les fureurs du peuple ou qu'elle périsse sur un échafaud, la mort, la vie, les supplices, la gloire, l'infamie, tout lui est égal. »
Depuis sa mort, Charlotte Corday est devenue une figure célèbre de la période révolutionnaire. Figure controversée : héroïne tyrannicide pour les uns, celle que Lamartine surnommera « l'ange de l'assassinat » n'est pour les autres qu'une fanatique.
Son geste ne parvint pas à sauver les Girondins – ceux-ci furent par la suite éliminés par les Montagnards, partisans de la Terreur, au nom du « salut public ».