L’histoire pourrait commencer comme un conte pour enfants. Guillaume Calmette et Joséphine Charpentier eurent trois fils : Émile (1851-1934), Gaston (1858-1914) et Albert (1863-1933). Du premier, la grande histoire a simplement retenu qu’il fut un vaillant médecin militaire, décoré de la légion d’honneur. Pour les deux suivants, elle a été plus généreuse, mais pour des raisons bien différentes.
Le destin brillant d’Albert Calmette.
Léon-Charles-Albert Calmette est donc le benjamin de la fratrie. Il voit le jour le 12 juillet 1863 à Nice. La mère d’Albert meurt prématurément alors qu’il n’a pas encore deux ans. Il est alors élevé par Marie Quiney la seconde épouse de son père. À 13 ans, Albert veut devenir marin et intègre, à la rentrée scolaire de 1876, la classe de quatrième au lycée de Brest pour y préparer l’École navale. Le lycée, dans lequel il est interne, est mal- heureusement frappé par une épidémie meurtrière de fièvre typhoïde en février 1877 et Albert y contracte une forme très grave de la maladie. Il en réchappe et, après une longue convalescence, il reprend ses études mais en qualité d’externe libre à l’Ecole Saint-Charles de Saint-Brieuc, abandonnant ainsi son rêve d’entrer à l’École navale de Brest... sans pour autant oublier son aspiration à parcourir le monde et explorer des territoires inconnus. Bachelier en 1881, Albert Calmette est admis, en octobre de la même année, à l’École de médecine navale de Brest qui forme des médecins assurant un service médical dans les territoires d’outre-mer.
Premières expériences indochinoises.
En 1883, il commence à exercer à Hong Kong, dans le corps des médecins de marine, où il étudie la malaria, sujet de sa thèse de doctorat qu’il soutient en 1886. Il est ensuite envoyé à Saint-Pierre-et-Miquelon, puis il exerce en Afrique occidentale, au Gabon et au Congo, où il continue d'étudier non seulement la malaria mais aussi la maladie du sommeil et la pellagre.
En 1890, il suit un stage de bactériologie dans le laboratoire du docteur Émile Roux à Paris. Associé aux recherches de Louis Pasteur, il est chargé par ce dernier de fonder l'Institut Pasteur de Saigon où il organise la production de vaccins contre la rage. Il se consacre à la toxicologie, qui vient de naître, en liaison étroite avec l’immunologie, et il étudie le venin des serpents et des abeilles, les poisons issus des plantes et le curare. Il organise également la production de vaccins contre la variole et la rage, et mène des recherches sur le choléra et sur la fermentation de l'opium et du riz.
L’Institut Pasteur de Lille.
Il revient en France. Il est alors placé hors cadre du Corps de Santé des colonies, et mis à la disposition de l'Institut Pasteur. Il y reprend les études entreprises en Indochine sur la physiologie des venins, la vaccination et la sérothérapie antivenimeuse, et réussit à préparer le premier sérum antivenimeux polyvalent. Il participe à la préparation de sérums anti pesteux avec A. Borrel et A. Yersin. A la suite de la visite d'une délégation du Conseil d'hygiène et de la municipalité de Lille, Louis Pasteur et Émile Roux confient à Calmette, en janvier 1895, la mission d'organiser à Lille un institut de sérothérapie et de recherches microbiologiques. Il étudie les conditions matérielles de ce projet, et l'Institut Pasteur de Lille est inauguré en 1899 dont il sera le directeur jusqu'en 1919. Il y entreprend des travaux sur l'ankylostomiase, l'épuration biologique des eaux usées (création à La Madeleine, près de Lille, de la première station française d'épuration), ainsi que divers travaux de bactériologie.
Recherches sur la tuberculose et mise au point du B.C.G.
À la fin du XIXe siècle, la tuberculose est un fléau sanitaire. Le nombre d’ouvriers tuberculeux dans les grandes villes manufacturières comme Lille, Roubaix et Tourcoing est considérable et dans la seule ville de Lille, peuplée alors de 220 000 habitants, on compte environ 6 000 tuberculeux indigents. Dès le début des années 1900, Calmette étudie à l’Institut Pasteur de Lille, les mécanismes de l’infection par le bacille de Koch et de l’immunité́ contre la tuberculose. Les premiers travaux sont consacrés aux voies d’entrée du bacille dans l’organisme de l’homme et des animaux (tout particulièrement les caprins et bovins) et à son expulsion de l’hôte infecté dans le milieu extérieur. En 1906, Camille Guérin, vétérinaire et immunologiste, avait établi que l'immunité contre la tuberculose était liée à des bacilles tuberculeux vivant dans le sang. En utilisant la méthode pastorienne, Calmette voulut savoir si cette immunité se développerait comme réponse à l'injection, chez les animaux, de bacilles bovins atténués. Cette préparation reçut le nom de ses deux découvreurs (Bacillum Calmette-Guérin, ou en abrégé BCG : Vaccin bilié de Calmette et Guérin). L'atténuation était obtenue en cultivant les bacilles dans un substrat contenant de la bile, d'après une idée émise par un chercheur norvégien, Kristian Feyer Andvord (1855-1934). De 1908 à 1921, Guérin et Calmette s'efforcèrent de produire des souches de bacilles de moins en moins virulentes, grâce à des transferts dans des cultures successives. Enfin, en 1921, ils utilisèrent le BCG avec succès sur des nouveau-nés à l'hôpital de la Charité de Paris. Ce succès conduit à une extension de la vaccination dans toute la France et du 1er juillet 1924 au 1er janvier 1927, 21 200 enfants, dont 969 nés et ayant vécu en milieu bacilliforme, reçoivent le BCG. Les résultats sont sans appel. La mortalité́ par tuberculose est, pour les enfants vaccinés depuis un à deux ans, voisine de 1 % alors que pour les non vaccinés, elle est d’environ 26 %, et pour les enfants vaccinés depuis plus de deux ans, elle est nulle.
L’accident de Lübeck
Entre février et avril 1930, dans la ville allemande de Lübeck, une catastrophe allait fortement entacher la réputation du vaccin BCG. Pendant sa préparation au laboratoire des mycobactéries, du vaccin BCG fabriqué sur place fut accidentellement contaminé par une souche virulente de bacilles tuberculeux humains. Sur 256 enfants ayant reçu ce vaccin contaminé, 77 moururent et 130 furent atteints de tuberculose chronique. Une commission nommée par le gouvernement allemand, en mai 1930, enquêta pendant 20 mois. Le tribunal pénal est saisi pour homicide involontaire. D'octobre 1930 à février 1931, se déroule un long procès avec une couverture médiatique internationale. Le jugement final retient une probable contamination accidentelle du BCG avec une souche tuberculeuse virulente lors de la production locale du vaccin. L'innocence du vaccin BCG est finalement reconnue.
Albert Calmette décède le 29 octobre 1933 à Paris. Il repose selon ses v½ux, à Jouy-en-Josas (Yvelines) derrière la chapelle des Metz.
Gaston Calmette : destin brisé.
Albert Calmette est devenu célèbre en sauvant des vies. Son frère l’est devenu en perdant la sienne. En effet, c’est son assassinat, le 16 mars 1914, par Henriette Caillaux, qui allait le rendre célèbre. Il est né le 30 juillet 1858 à Montpellier, cinq ans avant son frère. Après des études de droit, il débute au Figaro, à l’âge de 27 ans, comme secrétaire, ensuite devient rédacteur principal des Echos, puis chef de ce même service.
Parallèlement, il entame une carrière de grand reporter et publie une série d’articles notamment lors de l’affaire de Panama. Et à ce titre, il contribue à la démission du ministre Rouvier en décembre 1892. Calmette devient en 1896, le gendre de Georges Prestat, président du conseil de surveillance du Figaro. Devenu secrétaire de la rédaction du Figaro, il est nommé en janvier 1902 à la rédaction du journal, par l’assemblée des actionnaires.
Sous sa direction, le journal devient un des organes les plus importants de la presse française.
La campagne fatale.
Il lance, en janvier 1914, à l'instigation de Louis Barthou et de Raymond Poincaré, une virulente campagne contre Joseph Caillaux, ministre des Finances dans le gouvernement Doumergue. Déposé chaque jour dans les cafés, le Figaro est un quotidien influent lu par toute la bourgeoisie française. La campagne de diffamation menée par le journal contre le ministre des Finances, Joseph Caillaux, a par conséquent une portée massive. L’objectif est clair : faire échouer le projet politique du ministre et anéantir l’effet de ses discours pacifistes vis-à-vis de l’Allemagne. La campagne du Figaro s’étend sur trois mois. Elle est composée de 110 articles qui accusent successivement le ministre de trafic d’influence, de fraude fiscale et de connivence avec l’Allemagne. En outre, la politique d’impôt sur le revenu et d’opposition à la guerre de Joseph Caillaux, aristocrate de gauche, renforce encore les attaques violentes du Figaro. Sachant que le projet d’impôt sur le revenu est justement un cheval de bataille de la campagne de la gauche pour les proches élections législatives. Enfin, Calmette, en polémiste incisif doué pour l’investigation, publie des lettres compromettantes dont celle où Joseph Caillaux se félicite d’avoir fait capoter un vote sur l’impôt sur le revenu en paraissant le défendre. Pour cela, on dit que Calmette aurait notamment soudoyé la femme de chambre d’Henriette Caillaux, épouse du ministre, pour qu’elle subtilise ces lettres. Le 10 mars 1914, la campagne prend une autre tournure. Gaston Calmette annonce qu’il va publier les correspondances privées du ministre, détenues par sa première épouse Berthe Gueydan. C’est l’annonce de trop pour son épouse actuelle, Henriette Caillaux. Le 16 mars 1914, à 18 heures, lorsque Gaston Calmette l’introduit dans son cabinet, elle sort de son manteau un petit pistolet et tire six coups. Le directeur du Figaro, touché à plusieurs reprises, succombe à ses blessures dans la nuit. Faisant écho à l’affaire Dreyfus, l’affaire Caillaux fait à nouveau cohabiter la sphère politique et la sphère médiatique au sein de l’arène juridique. Tous les éléments sont réunis pour faire du procès d’Henriette Caillaux l’un des grands procès de la Belle Époque.
Un procès qui passionne la France.
Le procès s’ouvre le 20 juillet 1914 devant la cour d’assises de la Seine. On se précipite pour prendre ses billets comme pour une pièce de théâtre ; on se dispute les meilleures places et on installe des ventilateurs pour éviter les évanouissements. Henriette Caillaux et son avocat, Fernand Labori, plaident le crime passionnel. Fait exceptionnel, les présidents de la République Poincaré et Briand font une déposition et nombre de membres de la haute société de l'époque doivent aussi s'exposer.
À une époque où le féminisme commençait tout juste à poser son empreinte sur la société française, la défense en la personne de Fernand Labori (avocat de Dreyfus et de Zola) exploite les stéréotypes encore bien ancrés. Il convainc le jury que le crime n'était pas le fait d'un acte mûrement préparé mais d'un réflexe féminin incontrôlé, transformant le crime prémédité en crime passionnel. Les experts psychiatres évoquent un « cas typique d'impulsion subconsciente avec dédoublement complet de personnalité survenu sous l'influence d'un état émotionnel et continu ». Alors que l'avocat général Horteux écarte la préméditation et ne réclame que cinq ans de prison ferme, les jurés des assises de la Seine donnent, après cinquante minutes de délibération, une décision d'acquittement le 28 juillet 1914. Le lendemain, L’Humanité et Le Figaro titrent respectivement « Mme Caillaux acquittée » et « Le verdict de la honte ». Les grands quotidiens ne réservent pas plus de quatre colonnes à la déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie. L’affaire Caillaux continuera à faire la une des journaux jusqu’au 31 juillet, jour où Jean Jaurès est assassiné.
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