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La dopamine, récompense du confinement
Le confinement sert à quelque chose. On le sait. Et cet effet clair provoque la libération de dopamine dans notre cerveau. Elle sera le carburant de la persévérance dans les semaines à venir.

Depuis hier, je me sens bien. Pour la première fois depuis des semaines. Fait étrange, je me suis rendu compte que ce changement s’est fait sentir juste après l’allocution du président lundi soir. Je me demande si c’est normal, parce qu’habituellement je ne suis pas particulièrement sensible au son de sa voix, et je ne suis pas systématiquement en phase avec ses prises de position. Pourtant, j’ai senti quelque chose se passer. Quoi ?

À tête reposée, devant mon bol de café dans un rayon de soleil matinal, j’y ai réfléchi plus en profondeur. Et la réponse m’est apparue évidente. Quelque chose a changé dans notre confinement. Il est devenu utile.

Quatre semaines durant, nous avons été dans l’incertitude et la souffrance : la contrainte, la difficulté, l’enfermement. Dur de tenir dans ces conditions. Mais maintenant, il y a les premiers résultats, assumés hier soir. Une décrue timide mais régulière du nombre d’admissions dans les services de réanimation et de décès liés au virus. Et cela libère une force insoupçonnée dans notre cerveau.


Les résultats donnent la force d’avancer

Notre cerveau, en effet, fait systématiquement le lien entre ses actions à l’instant t et les résultats à l’instant t + 1. Si les résultats sont bons, l’action est renforcée, sinon, elle est oubliée. C’est ce qu’on appelle la loi de l’effet. Un psychologue, Edward Thorndike, la mit en évidence il y a plus de cent ans en étudiant le comportement des chats : dans ses expériences, les animaux pouvaient manipuler divers mécanismes dans une cage au hasard. Certaines combinaisons d’actions, que les chats testés ne pouvaient deviner a priori, permettaient d’obtenir de la nourriture avec un délai. Lorsqu’ils tombaient par chance sur le bon enchaînement, ils finissaient par faire le lien entre les gestes effectués et l’arrivée de nourriture : cette suite d’actions était alors mémorisée et reproduite de plus en plus fréquemment. Ce principe de lien entre cause et effet fut baptisé « conditionnement opérant ». Le concept inspira par la suite les travaux du psychologue Burrhus Skinner sur le conditionnement, et un important courant de pensée en psychologie au milieu du XXe siècle, le behaviorisme.

Plus tard, on observa que certains circuits de neurones dans le cerveau étaient à la base de cet apprentissage : il s’agit de neurones à dopamine prenant leur origine dans une zone profonde du cerveau appelée « aire tegmentale ventrale », puis remontant jusqu’à une zone intermédiaire nommée « striatum ». La libération de dopamine engendre un sentiment de récompense et de satisfaction, et les connexions neuronales participant à l’ensemble de la séquence de gestes sont renforcées, permettant de les mémoriser et d’adapter le comportement de l’animal.


Les bons points du confinement

Il est donc crucial d’avoir un retour sur expérience après toute action pour espérer que cette dernière soit pérennisée et renforcée. C’est vrai à l’école pour les élèves qui ont besoin de retours rapides sur leur travail, et plus le délai entre le travail fourni et le retour du maître est court, plus l’apprentissage est efficace. Mais cela vaut de façon plus générale pour chacune de nos actions. Il est impossible d’agir de façon cohérente dans le temps si l’on ne voit pas les résultats de ce que l’on a fait.

Tels des chats dans une cage, nous avons tenu bon, avant de recevoir finalement le petit shoot de dopamine qui nous récompense !

Il a fallu un mois pour avoir notre première « loi de l’effet ». Tels des chats dans une cage, nous avons tenu bon, avant de recevoir finalement le petit shoot de dopamine qui nous récompense, en apprenant que le nombre de décès quotidien du coronavirus est en baisse. Et c’est une bouffée d’air frais ! Le lien entre l’action et l’effet est visible, c’est un résultat dont notre cerveau a un besoin absolu pour continuer. Certes, on pouvait s’y attendre (les lois de l’épidémiologie sont bien connues), mais sur le plan des émotions et pour les circuits dopaminergiques de notre cerveau, le fait réel du recul de la mortalité due au Covid-19 est la seule récompense qui compte.


Le besoin humain de se sentir utile

Ce système de neurones dopaminergiques dans notre cerveau est ce qui nous donne le sentiment que nos actions ont un sens, une utilité et un impact sur le monde réel. Sans ce sentiment, on ne peut rien entreprendre sur le long terme. Une action sans effet est insupportable pour l’esprit humain, ce qu’illustre très bien le livre de David Graeber Bullshit Jobs : on y voit l’effet désastreux de tous les emplois que ceux qui les occupent jugent inutiles. Nous avons besoin de nous sentir utiles, et nous pouvons aujourd’hui avoir ce sentiment. Notre action collective commence à sauver des vies.

Qu’attendre de cette loi de l’effet pour l’avenir ? Tous les travaux en neurosciences et en psychologie montrent qu’une action suivie d’une récompense tend à se renforcer. C’est donc notre meilleure chance : notre capacité à poursuivre notre effort va pouvoir utiliser ce premier succès comme un carburant puissant. Mais il en faudra d’autres. Car les sciences du comportement nous apprennent aussi que si les récompenses déclinent, l’action qui les a provoquées ne peut pas se consolider dans le temps. Le moment crucial sera donc celui où la mortalité aura considérablement baissé, et où il faudra malgré tout prolonger l’effort. Car d’autres récompenses nous tendront alors les bras : reprendre une vie normale, aller au restaurant, voir des amis, sortir… En y cédant trop vite, nous agirions alors comme des chats de Thorndike qui désireraient obtenir plus de nourriture et abandonneraient le comportement qui leur avait fourni leur première récompense. La sanction serait immédiate : toutes les portes de la cage se verrouilleraient alors et l’animal ne recevrait plus la moindre nourriture. Pour nous, ce serait un confinement plus dur, avec de nouveau des milliers de morts.

Évitons d’être des chats de ce type. Les êtres humains ont un avantage : ils peuvent imaginer les récompenses et les punitions avant qu’elles n’arrivent. Mais pour une raison étrange, ils semblent parfois avoir du mal à l’utiliser…

Source: http://www.cerveauetpsycho.fr/...