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Torquemada
Tomás de Torquemada est né en 1420 à Valladolid où il grandit. Comme son oncle, le cardinal et théologien pontifical, Juan de Torquemada, il devint moine dominicain dans le couvent San Pablo de la ville. Il fut nommé, à 32 ans, prieur du monastère de Santa Cruz à Ségovie, fonction qu'il occupa de 1452 à 1474.

Connu pour son austérité, sa dévotion et son érudition, il devint confesseur de la princesse Isabelle, Infante de Castille, alors qu'elle n'était encore qu'une enfant. Il entreprit de lui inculquer le devoir qu'elle aurait, en tant que future souveraine, de défendre l'unité religieuse du royaume, et le bénéfice politique qu'elle pourrait en retirer.

En 1469, Isabelle épousa Ferdinand, qui allait devenir dix ans plus tard, en 1479, le roi Ferdinand II d'Aragon. Elle fut couronnée reine de Castille en 1474. Bien que Torquemada fut très proche des souverains, devenant également confesseur du roi, il refusa les postes honorifiques qui lui étaient proposés, comme le riche évêché de Séville, et se contenta d'une fonction de conseiller. En grande partie à son instigation, ceux que l'on surnommera « les rois catholiques » décidèrent de mener une politique religieuse coercitive, au nom de l'unité de l'Espagne. Ils convainquirent le pape Sixte IV de réorganiser les tribunaux d'inquisition en Espagne, et de les placer sous le contrôle exclusif de la Couronne.

Il occupera la fonction d'Inquisiteur Général d'Espagne pendant 15 ans jusqu'à sa mort en 1498, s'acquittant de sa mission avec un zèle redoutable et une détermination implacable. Sous son autorité, environ 100 000 cas sont examinés par l'Inquisition espagnole et 2 000 condamnations à mort prononcées.

Avec l'aide de légistes, il rédigea un « code de l'inquisiteur » de vingt-huit articles qu'il promulgua le 29 novembre 1484 à l'occasion de l'assemblée générale des inquisiteurs à Séville. Il travaillera jusqu'à sa mort à affiner ce code en fonction de l'expérience acquise (ces règles sont regroupées dans un code de procédure unique: les Compilación de las instrucciones del officio de la Santa Inquisitión).

Torquemada joua également un rôle décisif d'initiateur dans la Reconquista de l'Espagne musulmane, ainsi que dans la persécution et l'expulsion des juifs d'Espagne, décidée par les rois catholiques le 31 mars 1492.

À la fin de sa vie, il se retira au couvent Saint-Thomas d'Ávila, qu'il avait fait construire, reprenant la simple vie de frère, tout en continuant d'occuper la fonction de Grand Inquisiteur et de réfléchir aux meilleures règles pour conduire et encadrer l'Inquisition. Il reçut à plusieurs reprises la visite des souverains (et se rendit à Salamanque en octobre 1497 pour être aux côtés du prince Don Juan mourant et réconforter le roi et la reine).

En 1498, il présida sa dernière assemblée générale des inquisiteurs. Il meurt le 16 septembre de la même année.

Torquemada est passé à la postérité comme l'un des symboles de l'intolérance et du fanatisme religieux. Toutefois, certains auteurs soutiennent que « Torquemada n'est pas le fruit du catholicisme mais le produit d'une histoire nationale » eut egard au fait que l'Inquisition au XVe siècle évolua dans un contexte très particulier propre à l'Espagne d'alors.

Dans son Histoire critique de l'Inquisition espagnole (1817-1818 ), Juan Antonio Llorente, ecclésiastique espagnol libéral exilé à Paris, qui fut secrétaire général du Saint Office espagnol (l'Inquisition) et a pu travailler sur les archives, estime que pendant que Torquemada fut Grand Inquisiteur, 10 220 personnes furent brûlées, 6 860 autres condamnées à être brûlées en effigie, et 97 321 furent "réconciliées" avec l'Église. Ces chiffres sont cependant considérés comme largement exagérés par les historiens modernes. Ils estiment aujourd'hui le nombre de personnes envoyées au bûcher comme étant probablement plus proche de 2 000 personnes, une grande majorité étant des conversos d'origine juive. Ce qui représente tout de même un nombre loin d'être négligeable - "en soi un horrible holocauste au principe de l'intolérance religieuse", selon les mots de l'Encyclopaedia Brittanica.
Cependant des voix, en particulier à son époque, se sont élevées pour prendre la défense de Torquemada. Le chroniqueur espagnol Sebastián d'Olmedo l'a appelé "le marteau des hérétiques, la lumière de l'Espagne, le sauveur de son pays, l'honneur de son ordre"[25].

Le philosophe contre-révolutionnaire Joseph de Maistre, dans ses Lettres à un gentilhomme russe sur l'Inquisition espagnole (1815), avance l'idée que l'Inquisition fut instaurée par les souverains d'Espagne parce que l'existence même de la nation espagnole était menacée, en raison de la présence musulmane et de l'influence (supposée) de la communauté juive espagnole. Il précise ce qui est selon lui un axiome de l'action politique : « Jamais les grands maux politiques, jamais surtout les attaques violentes portées contre le corps de l'état, ne peuvent être prévenues ou repoussées que par des moyens pareillement violents ». Par conséquent, selon lui, l'action de Torquemada doit être mise en balance avec les dangers qui menaçaient le royaume : « Si vous pensez aux sévérités de Torquemada, sans songer à tout ce qu'elles prévinrent, vous cessez de raisonner. »(op.cit.)

Par ailleurs, il existe un courant historique moderne de "révision" de l'histoire de l'Inquisition espagnole, mené notamment par l'historien britannique Henry Kamen (voir Bibliographie). Ces historiens tentent de montrer qu'il existe bien une "légende noire" de l'Inquisition espagnole (et plus généralement de l'histoire espagnole des derniers siècles), peignant celle-ci sous un jour particulièrement brutal et maléfique. Selon eux, cette "légende noire" serait en grande partie due à des intellectuels protestants, comme par exemple l'écrivain anglais John Foxe (1516-1587), qui choqués par la répression contre les protestants, noircissirent le trait à des fins de propagande contre l'Eglise catholique. Cette "légende noire" a également été largement mise en avant par l'Angleterre et la Hollande, rivaux politiques et commerciaux de l'Espagne.

Mais, estiment ces historiens, l'Inquisition espagnole n'était ni aussi puissante, ni aussi cruelle qu'on a bien voulu le dire. Ainsi par exemple, concernant la torture, elle était également la norme dans les tribunaux royaux espagnols, et lorsqu'elle y fut abolie, les tribunaux d'Inquisition y renoncèrent également. Les prisons de l'Inquisition étaient généralement d'un confort supérieur aux prisons civiles de l'époque (taille des cellules, fenêtres laissant passer la lumière...). Enfin, la peine de mort restait assez exceptionnelle, réservée aux personnes considérées comme des cas irrécupérables - en particulier les relaps.

Les défenseurs de Torquemada soulignent également son absolue dévotion aux causes qu'il défendait - l'unité de l'Espagne et la pureté de la religion catholique. Il ne s'est jamais enrichi personnellement à travers les richesses considérables obtenues par le Saint Office via la saisie des biens des condamnés. Au contraire, il a du batailler pour soustraire cet argent aux souverains, et l'a utilisé pour accroître encore l'efficacité et l'étendue des tribunaux inquisitoriaux, ainsi que pour ouvrir des couvents de son ordre (dominicain). A la fin de sa vie, il a même repris la vie dépouillée et austère de simple frère au couvent Saint-Thomas d'Ávila.

D'autre part, comme il a été rappelé plus haut, le caractère intraitable de Torquemada et la brutalité de son action suscitèrent beaucoup d'incompréhensions et de protestations, y compris de son vivant. Au point que, par trois fois, il dut envoyer un émissaire pour se justifier auprès du pape.

En 1836, les libéraux espagnols brisèrent sa tombe dans la chapelle du couvent d'Ávila, et dispersèrent les ossements de celui qu'ils estimaient être l'une des pires incarnations de l'intolérance et du fanatisme.