UN PEU DE TOUT... BEAUCOUP DE RIEN
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Histoire d'un pantalon hors-la-loi
Vous savez peut-être, que la loi du 26 Brumaire an IX (17 novembre 1800) interdit aux Françaises le port du pantalon. Si elle est tombée en désuétude, cette ordonnance n'a jamais été abrogée. Napoléon Bonaparte autorise néanmoins les femmes désirant se travestir en homme à se présenter à la préfecture de police pour en faire la demande. Le port du pantalon ne pouvant être accordé que pour des raisons médicales. En 1892 et 1909, deux circulaires permettent aux femmes qui pratiquent le cyclisme ou l'équitation de porter ce vêtement.

En occident, la proverbiale question de savoir qui porte la culotte exprime, au propre comme au figuré, le long combat de la condition féminine. La bataille du pantalon commence dès la révolution française (Olympe de Gouge, partisane des droits identiques pour les deux sexes, arbore ladite culotte et sera guillotinée en 1793) et bourgeonne avec les mouvements féministes du 19ème siècle. Les plus bravaches sont les suffragettes guidées par leur Amelia Jenks Bloomer (1818-1894). L'avocate américaine prône la fin des contraintes vestimentaires féminines et de la dictature de la mode parisienne. Les femmes écrit-elle doivent être libérées de leurs lourdes jupes, de leurs corsets en os de baleine et autres rembourrages intempestifs. Le costume doit être adapté aux nécessités de la vie courante. En 1851, une activiste plus radicale, Elizabeth Smith Miller (alias Libby Miller) adopte ce qu'elle considère comme un costume adapté : un pantalon large et bouffant, resserré aux chevilles (tel ceux portés par les orientales) surmonté d'une courte robe, jupe ou veste. L'actrice britannique Frances Anne Kemble (1809 – 1893) est la première ambassadrice de ce vêtement. Amelia Bloomer l'adopte à son tour et en fait la promotion dans son journal, le Godey's Lady's Book. Le mouvement des "Bloomers" (littéralement les Culottes) est né.
Bien-entendu l'initiative donne lieu à de vives critiques, y compris émanant des femmes. En 1859, Madame Bloomer elle-même abandonne le vêtement, considérant que l'invention de la crinoline est une avancée suffisante. En dépit de cette initiative avortée, les Bloomers ont remporté un demi-succès puisqu'elles ont influencé la conception du costume des cyclistes apparu dans les années 1880-1890. Le costume est composé d'un pantalon mi-long, d'une culotte bouffante, d'une jupe fendue et d'une paire de bas. Il représente une concession aux convenances qui a permi aux femmes d'accéder à la pratique d'un sport auparavant jugé indécent. L'engouement des femmes pour ce sport a ainsi contribué à la diffusion de son costume qui gagne l'Angleterre. Dès 1874, la princesse de Galles elle-même arbore un costume-tailleur.

Pendant ce temps, en France les amazones ne restent pas bras croisés. George Sand (1804-1876) ne se contente pas de porter un prénom masculin et de fumer le cigare. En 1834 déjà, elle débarque à Chamonix vêtue d'un pantalon de toile, d'une casquette, d'une blouse bleue et de talons de bottes coupés (Les quatre montagnes de George Sand de Colette Cosnier, Ed. Guérin, 2004). En 1838, elle reçoit Balzac à Nohant « dans sa robe de chambre fumant un cigare après le dîner, au coin de son feu, dans une immense chambre solitaire. Elle avait de jolies pantoufles jaunes ornées d’effilés, des bas coquets et un pantalon rouge. ». C'est ainsi qu'en 2004, à l'occasion du bicentenaire de George Sand, le député de l'Indre Jean-Yves Hugon suggère au gouvernement français "de mettre en conformité notre droit avec une pratique incontestée et incontestable des femmes ».
A Paris, la capitale mondiale de la mode, Paul Poiret (1879–1944) crée un vêtement qui sert largement la cause du pantalon féminin durant la Belle Époque. Le modèle, appelé Harem, s'inspire des costumes d'un opéra populaire, Sheherazade, écrit par Nikola Rimsky-Korsakov en 1888. Il s'agit d'une sorte de jupe trompe-l'½il à la mode orientale. La maison Bechoff-David dépose à son tour un modèle de "jupes-culottes de promenade" pour les bourgeoises. La presse s'empare de l'affaire et, en 1911, le journal Fémina réplique: «Voilà comment on prétend nous affubler: un pantalon de zouave étriqué, serré aux mollets par des chaussettes. Quelle silhouette gracieuse !». Colette elle-même, qui s'affiche pourtant volontiers en costume trois-pièces, s'insurge aussi :«La jupe, oui. La culotte, oui. La jupe-culotte, non !». La robe-pantalon descend pourtant dans la rue. Le créateur Paul Poiret est acclamé aux États-Unis et dans presque toute l'Europe.

La Première Guerre Mondiale marque un autre tournant dans l'histoire du pantalon au féminin. Finis les débats frivoles autour de la jupe-culotte: les femmes remplacent les hommes dans les usines et adoptent leur uniforme. Durant cette sombre période, le pantalon apparaît comme le vêtement le plus approprié même s'il est toujours contesté. Dans un ouvrage intitulé Anne... Rilla d'Ingleside, la romancière canadienne Lucy Maud Montgomery (1874-1942) décrit la vie quotidienne sur l'Ile-du-Prince-Edouard pendant la Grande Guerre. Elle note que les jeunes femmes travaillant dans les champs portent des pantalons ou des salopettes. Leurs aînées, en revanche, refusent de céder à une tendance jugée indécente. En France, l'institutrice Hélène Brion (1882-1962), féministe et militante syndicaliste, est accusée de pacifisme et devient la cible d'une vaste campagne diffamatoire. Le journal Le Matin lui reproche notamment sa tenue de cycliste : « Habillée en zouave, musette de côté, elle passait par la fenêtre, s'asseyait sur les tables. ». Elle sera condamnée à plusieurs mois de prison avec sursis et révoquée de l'Éducation Nationale.
Avec les Années Folles, revient le temps des frivolités et de la provocation. L'androgynie fait fureur: les femmes se coupent les cheveux, exposent davantage leurs bras et leurs jambes, adoptent des tissus fluides... certaines obtiennent même le droit de vote (Canada, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, État-Unis, Russie soviétique...) mais le pantalon reste tabou. Gabrielle "Coco" Chanel (1883–1971), qui comme le reste des Françaises ne vote pas encore, défend néanmoins ardemment le port du pantalon. Elle commence à dessiner des tenues de cavalière tandis que Jean Patou (1887-1936) s'impose avec des costumes de bain féminins qui ressemblent à des pyjamas courts. En 1930, Marlène Dietrich (1901-1992) apparaît dans C½urs brûlés de Josef von Sternberg vêtue d'un pantalon. L'actrice qui porte volontiers le costume dans la vie privée contribue a populariser le port du pantalon. Dès 1939, le magazine Vogue publie des photos de mannequins en tenues d'équitation, de golf ou de natation. Dans le numéro du mois de novembre, il est même spécifié qu'une garde-robe féminine est incomplète si elle ne compte pas un ou deux pantalons sur-mesure.

La Seconde Guerre mondiale impose des restrictions qui laisse peu de place à la coquetterie vestimentaire. En Angleterre, la Chambre de Commerce stipule la quantité de tissu et de boutons qui peuvent être utilisés dans la fabrication de pantalons féminins. Aux États-Unis, les femmes se laissent convaincre par l'image de "Rosie la Riveteuse" (toute en muscle et vêtue d'un bleu de travail) qu'elles peuvent riveter, souder ou construire des bâtiments militaires au lieu de rester travailler chez elles pendant que les hommes sont au front. En Italie, Benito Mussolini (1883-1945) interdit purement et simplement le port du pantalon sous prétexte qu'il use trop de matière. Pétain et Goebbels, de leur coté, prônent un retour au costume d'inspiration traditionnelle pour affirmer les identités nationales. En 1947, Christian Dior impose son New-Look, le retour à la douce féminité et aux vêtements élégants. Au même moment, les plus belles actrices du cinéma (Grace Kelly, Katherine Hepburn ou Lauren Bacall) réinventent leur propre modèle: une femme nouvelle, investie dans son métier et portant le pantalon. La révolution est menée à son terme lorsque Marylin Monroe arbore un jean dans Bus Stop. Les années 60-70 voient le développement d'une mode unisex symbolisée par le port de pantalons à braguettes. La boucle est donc bouclée lorsque paraît le roman d'Alice Walker, La couleur pourpre, en 1982. La quête d'indépendance de l'héroïne semble culminer au moment où elle pénètre dans un magasin de Jeans.