C’est grâce à une femme que l’Homme a pu marcher sur la Lune. Longtemps méconnue, Margaret Hamilton est à l’origine du succès de la mission Apollo 11, mais aussi du développement des logiciels informatiques.
Sans elle, Neil Amstrong et Buzz Aldrin n’auraient sans doute pas marché sur la Lune. Son nom est pourtant resté longtemps méconnu, il a d’ailleurs fallu 47 ans au gouvernement des Etats-Unis pour récompenser Margaret Hamilton de ses services... En aidant à développer les logiciels de la mission Apollo 11, elle a posé les bases de ce que sera l’informatique moderne.
Née le 17 août 1936 dans l’Indiana, Margaret Hamilton se passionne, une fois le lycée terminé, pour les nombres. A 22 ans, elle obtient son diplôme de mathématiques et enseigne rapidement sa discipline. Elle assiste alors son mari alors que ce dernier passe son diplôme de droit à Harvard. Le plan initial était alors de soutenir son époux pendant 3 ans, le temps qu’il obtienne son diplôme et que ce dernier lui rende ensuite la pareille, pour qu’elle puisse se consacrer à l’études des mathématiques fondamentales. Dans une interview pour le site Makers, elle racontait comment les femmes des étudiants en droit étaient censées leur préparer le thé : "Ils souhaitaient que les femmes, moi comprise, leur servent le thé, et j’ai rétorqué à mon mari : “Il est hors de question que je serve du thé. Si je vais à l’école de droit d’Harvard, très bien, j’y ferai ce qu’y font les hommes. Mais je ne serai pas mise dans cette position". Il était très fier de moi, du fait que j’ai pris cette position."
En 1960, alors qu’elle n’a que 24 ans, Margaret Hamilton prend cependant un poste au MIT pour développer des logiciels de prédiction météorologique et se découvre une nouvelle passion. Dès 1961, elle travaille pour le SAGE Project, l’un des premiers systèmes informatiques de défense antimissile, et subit un bizutage un peu particulier :
"Ce qu’ils avaient l’habitude de faire, quand vous veniez de débuter dans l’organisation, c’était de vous assigner à un programme que personne n’avait été capable de comprendre et de faire fonctionner. Quand j’ai débuté, ils m’ont mise dessus également. C’était une programmation piégée, et la personne qui l’avait écrite s’était amusée à mettre tous les commentaires en grec et en latin. Donc on m’a assignée à ce programme, et je l’ai finalement fait fonctionner. Il imprimait même ses réponses en latin et en grec. J’étais la première à le faire marcher."
Ses compétences et sa capacité à venir à bout de ce programme font de Margaret Hamilton une candidate idéale pour le rôle de développeur pour la NASA : en 1963, elle est recrutée par le laboratoire Draper du MIT, qui a pour mission de gérer les logiciels du programme Apollo.
Un grand bond pour l’humanité
Margaret Hamilton est alors chargée de concevoir le système embarqué du programme Apollo. Elle est tellement passionnée par son travail que pendant ses longues heures de programmation, elle n’hésite pas à emmener sa fille à son bureau. Cette dernière s'amuse parfois avec les simulations créées par sa mère, pendant que cette dernière configure les logiciels de routine qui seront utilisés par le module de la navette :
"Je me souviens, je prenais ma fille avec moi la nuit et le week-end. Une fois, elle s’est mise à jouer à l’astronaute et d’un coup le système de simulation a planté. J’ai réalisé qu’elle avait sélectionné PO1 - le programme d’atterrissage - pendant le vol. J’ai commencé à m'inquiéter et à penser à ce qui se passerait si les astronautes faisait ce qu’elle venait de faire. Je suis allée voir la direction pour leur dire qu’il fallait apporter des changement au programme. Ils ont dit : “Ça n’arrivera jamais, nos astronautes sont super entraînés, ils ne font pas d’erreurs ”. Lors de la mission suivante, Apollo 8, la même chose est arrivée. PO1 a été sélectionné en plein vol."
Grâce à Hamilton et son équipe, les données de navigation purent être renvoyées à temps au module d’Apollo 8 et sa trajectoire fut corrigée. La jeune programmeuse continue de développer ses logiciels sur les programmes Apollo. Elle parvient notamment à créer un système de priorisation des tâches qui va s'avérer vital à la mission Apollo 11. Le 21 juillet 1969, alors que le module est sur le point d’alunir, de nombreuses alarmes se déclenchent : l’ordinateur de bord souffre d’une surcharge de travail et il est incapable de traiter toutes les données en même temps, comme le racontait Margaret Hamilton dans une lettre, en mars 1971.
"L'ordinateur était programmé pour faire mieux que simplement identifier une situation d'erreur. Des programmes de récupération avait été incorporés dans le logiciel qui permettait d'éliminer les tâches ayant les priorités plus faibles et d’exécuter les plus importantes. Si l'ordinateur n'avait pas reconnu le problème et entrepris ces actions de récupérations, je doute qu'Apollo 11 aurait réussi son atterrissage sur la Lune comme il l'a fait."
“Nous n’avions pas d’autre choix que d’être des pionniers”
Après le MIT, Margaret Hamilton co-fonde sa propre entreprise de développement logiciel, Higher Order Software, puis, en 1986, la société Hamilton Technologies, où elle développe son propre langage de programmation.
En 2003, 27 ans après son départ de la NASA, l'agence spatiale lui remet enfin un "Exceptionnal Space Act Award" pour l'ensemble de ses contributions scientifiques et techniques au programme Apollo. Le Dr Paul Corto, qui l'a nommée pour la récompense se déclare "surpris de découvrir qu'elle n'avait jamais été officiellement reconnue pour ses travaux pionniers. Ses concepts de logiciel asynchrone, de programmation des priorités, de tests de bout en bout et de capacité de décision humaine, comme l’affichage des priorités, ont posé les bases de la conception de logiciels ultra-fiables". Non seulement Margaret Hamilton a créé les fondements de ce qu'est l'informatique moderne, mais elle est même à l'origine du nom de sa discipline, le "software engineering", pour "génie logiciel".
Quelques années plus tard, en 2017, elle reçoit la Médaille présidentielle de la liberté, remise par Barack Obama, la plus haute distinction aux Etats-Unis. Elle sort alors un peu plus de l’ombre. Elle n’était pourtant pas la seule femme, parmi les 400 personnes qui travaillaient sur le logiciel Apollo, comme le rappelait le roman Les Figures de l’ombre, de Margot Lee Shetterly, adapté au cinéma en 2016 :
Dans une interview accordée à la NASA, Margaret Hamilton se remémorait les balbutiements de sa profession, au cœur du MIT : "De mon point de vue, l’expérience logicielle elle-même était au moins aussi excitante que les événements qui entouraient notre mission… Il n’y avait pas de seconde chance. Nous le savions. Nous prenions notre travail très au sérieux, beaucoup d’entre nous commençant cette aventure à à peine 20 ans. Trouver des solutions et de nouvelles idées était une aventure. [...] Parce que le logiciel était un mystère, une boîte noire, la direction avait une foi et une confiance totales en nous. Nous devions trouver un chemin, et nous l’avons fait. Quand je regarde en arrière, nous étions les personnes les plus chanceuses au monde : nous n’avions pas d’autre choix que d’être des pionniers."