Il a beau être tout petit, humblement caché au creux du ventre, le nombril fait scandale depuis des siècles. Il est synonyme d’orgueil, d’égocentrisme et parfois même d’impudeur. C'est le centre du Moi, inscrit en creux, donc forcément lié à l'idée d'une voie ouverte sur l'intime.
«Tu te prends pour le nombril du monde ?», «Tu ne penses qu’à ton nombril» sont des accusations courantes et les jeunes filles qui montrent leur nombril sont traitées de gourgandines. Associé à l’orifice sexuel, le nombril excite toutes les convoitises.
Aux enfants japonais qui se mettent trop en avant, les mères disent : «Le Kaminari va venir te prendre le nombril.» Le Kaminari, dieu du tonnerre et de la fécondation céleste, frappe à l'endroit qui est finalement le plus adéquat : notre «point faible», ce trou mal cicatrisé qui fait de nous tous et toutes des réceptacles en manque d'amour, d'attention et de reconnaissance.
Quand, âgée de 16 ans, Britney Spears montre son nombril dans une tenue de collégienne, en chantant Baby one more time ("Mon chéri, encore une fois"), elle devient une star du jour au lendemain.
Quand l’encyclopédie Britannica décide de consacrer au nombril un article, 17 millions d'internautes se connectent au site et le mettent en panne jusqu'à ce que l'article soit supprimé…
Dans la mythologie grecque, Omphale (qui donne son nom à l'omphalos grec, le centre du monde) est la reine de la séduction: aucun homme ne lui résiste. Heracles/Hercule, le demi-dieu le plus viril de la mythologie antique, s'habille en femme et se met à filer la laine par amour pour elle, toute honte bue.
Au Japon, le nombril est à ce point érotique que des vidéos de nettoyage de nombril se vendent dans les sex-shops. On y voit des jeunes filles qui s'enfoncent des coton-tiges dans le petit trou en poussant des cris : «hazukashi !» ("j'ai honte"), «kuso !» ("c'est sale"). Ce fétichisme made in Occident – lié au tabou religieux sur les orifices – apparaît en même temps que la culotte. Logique. Posez un interdit sur une partie du corps et vous obtiendrez un transfert sur une autre partie.
Freud dit que rêver se situe dans le nombril, là où son contenu se connecte avec le psychisme. Saint-Thomas d'Aquin dit aussi que le nombril est «la métaphore corporelle des choses spirituelles» et considère la vision des nombrils comme une activité proche de la prière.
Hays, qui édicte un code de censure sur le cinéma d'Hollywood, interdit que les actrices montrent leur nombril. On découvre après sa mort qu'il collectionnait en secret toutes les images de nombril pour se masturber dessus.
Raphael et Michel-Ange ont été accusés d'hérésie pour avoir représenté Adam et Eve avec des nombrils. Ils ont été créés à l’image de Dieu, protestent les puritains : cela signifierait que Dieu avait un nombril. «Dieu avait donc une maman ?». Scandale dans les chapelles.
Au Japon, tout le monde plaint le nombril car il ne peut pas se protéger des saletés qui y entrent. Au XVIIIe siècle, les chanteuses aveugles itinérantes appelées Goze font du porte à porte en chantant des chansons folkloriques un peu spéciales, dont certaines portent sur les trous féminins. Ces chansons s'achèvent généralement en beauté sur le trou le plus délaissé du corps, le mal-aimé, condamné à rester sale et –comme les testicules– à regarder avec envie son voisin s’envoyer au ciel.
«L’autre trou est bien traité, tout le monde l’adore / Sauf quand son volume signale ce que nul n’ignore / Il résonne toujours d’échos joyeux de fête / Ces réjouissances me prennent la tête / Et le pire c’est que je sers d’égoût aux trop-pleins / de liquides qui me remplissent en vain /La vie pour nous nombrils est vraiment trop dure / Si seulement nous avions des poils pour rester purs.»
Le nombril fait peur… En l’effaçant des films (par pudeur) ou en le resculptant (par chirgurgie esthétique), les omphalophobes oublient pourtant que l’ombilic est un symbole riche de sens : c’est le cordon qui nous relie à nos parents, et surtout aux autres êtres humains. C’est la preuve que nous sommes des êtres inachevés, en quête de notre moitié.
«Il oppose un discret démenti à notre prétention de nous suffire à nous-même», explique le spécialiste français du nombril Jacques Bonniol de Ruisselet. Dans la tradition grecque, le nombril est en effet la preuve qu'avant nous étions l'androgyne primitif (un être composé de deux corps emboités – homme-femme ou femme-femme ou homme-homme) : selon la légende, le nombril est la cicatrice qui reste de cette coupure en deux. Nous sommes toujours à la recherche de cette âme-soeur… Le petit trou est là, pour nous rappeler à nos devoirs d’amour.