Une vraie personne devenue un des héros les plus populaires des lettres françaises ? On peut se demander ce que le véritable Hercule Savinien Cyrano aurait pensé de son clone fabriqué par Edmond Rostand : aurait-il apprécié d'être affublé d'un si long pif ?
Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé...
Commençons par évacuer la question du vrai Cyrano. Le personnage de théâtre a été en effet inspiré d'un homme du XVIIème siècle. Ce philosophe et écrivain, libre penseur et utopiste, qui a vécu entre 1619 et 1655 est l'auteur de "Histoire comique des Etats et Empires de la Lune". Il a été militaire, engagé dans les cadets, et a participé au siège d'Arras où il a été blessé en 1640, dans le cadre de la guerre contre l'Espagne. Rostand a repris certains de ces éléments biographiques pour bâtir son personnage : cadet dans l'armée, participation au siège d'Arras, compagnon de Christian de Neuvillette (ou Christophe dans la vraie vie), poutre fatale tombée sur la tête, entre autres. Mais il a délibérément exagéré certaines caractéristiques du personnage historique pour les besoins de sa pièce : le nez (il semble que le vrai Cyrano ait eu un grand nez mais quand même pas autant que son clone), le côté hâbleur et imaginatif.
A part le nez ?
Finalement on ne sait pas grand-chose de l'apparence physique de Cyrano (dorénavant nous ne parlerons plus que du personnage de fiction et non du Cyrano historique). Son nez gigantesque d'une longueur invraisemblable de type perchoir à oiseaux mis à part, il ne reste qu'une moustache hérissée. On ne sait pas vraiment s'il est grand ou petit, maigre ou gros, brun ou blond, jeune ou mûr. On le dit disgracieux, lui-même se trouve terriblement laid, mais c'est seulement à cause de son renifloir extravagant.
Quel sale caractère !
Issu de la petite noblesse provinciale, Cyrano est soldat. D'où son habileté à l'épée, sa propension à la dégainer bien vite, son courage physique. C'est un gascon comme d'Artagnan et il partage aussi avec le célèbre mousquetaire une certaine bravoure à la française, subtil dosage de fierté, de goût du défi, de provocation, d'indépendance, de franchise, de témérité. Ses amis le dépeignent comme un homme bizarre, rimeur, physicien, musicien, excessif, extravagant, falot (dans le sens ici de ridicule), fier comme Artaban. Autant dire que Cyrano a une forte et riche personnalité ! Il est franc, trop franc, sans diplomatie aucune. Il est susceptible à l'excès : une seule remarque contenant un mot du champ lexical du nez prononcée devant lui et il s'énerve et provoque son interlocuteur en duel ! Ce qui revient à se fâcher à peu près avec tout le monde... D'autant qu'il est souvent inconséquent. Ainsi, par exemple, jette-t-il un sac d'écus à la tête du tenancier du théâtre pour rembourser les spectateurs, cet argent représentant le versement de la pension paternelle qui lui permettrait de vivre un mois.
Ces différents aspects de sa personnalité pourraient rapidement agacer : la peste soit des grandes gueules qui aiment s'écouter ! Mais Cyrano, heureusement, n'est pas que le vantard, le fanfaron, le batailleur pinailleur qu'il paraît.
De grandes qualités de coeur ou bien... ?
Ce bravache légèrement saoulant et cocardier est aussi un homme généreux et intelligent. Bien sûr on connait ses réparties vives, sa virtuosité dans les jeux de l'esprit, son langage de poète, son humour. Mais il est aussi cet homme loyal qui, lorsqu'il s'engage, ne se dédit jamais. Cet homme passionné autant que désinteressé, prêt à tout mais toujours pour des causes qui ont de l'importance à ses yeux, idéaliste, opposé à tous les compromis, à la recherche continuelle de la beauté qu'il traque dans le monde alors qu'il est bien conscient de sa propre laideur.
Amoureux non aimé en retour, indigne d'être aimé selon lui, il n'hésite pas à se sacrifier pour que sa jolie cousine Roxane soit heureuse avec l'homme qui lui plaît et c'est ainsi qu'il tait son amour pour elle et laisse la place à son compagnon d'arme, le jeune Christian.
Quoiqu'on puisse se demander si c'est par générosité et abnégation qu'il cède la place ou si c'est plus trivialement parce qu'il manque d'assurance et a peur que Roxane ne lui rit au nez (sans mauvais jeu de mots) s'il lui déclarait son amour. Est-il le merveilleux ami, si génial, si modeste et si bon ou l'idiot, le dégonflé, le timide qui n'essaye même pas de rivaliser avec Christian alors qu'il a plus d'atouts en main ? Ou alors Cyrano a t-il compris que dans le monde ordinaire et quotidien, ce sera toujours le plus beau qui gagnera même s'il a autant d'esprit et de bonté qu'une botte de radis. Peut-être que toute la psychologie de Cyrano est dans cet simple phrase : "C'est bien plus beau quand c'est inutile !" Ce qui signifierait que son sacrifice est d'autant plus beau et élevé qu'il ne sert à rien, qu'il est absurde. A moins que tout cela ne soit qu'une question d'orgueil mal placé ? Une autre interprétation serait que Cyrano était amoureux en réalité de... Christian. Bref, ce Cyrano est un personnage complexe...
Un héros tragico-comico-romantique
Cyrano est un vrai héros qui suscite à la fois l'admiration à cause de son intelligence, son panache, sa virtuosité verbale autant que physique et la compassion du fait de ses amours contrariées, de sa laideur, de sa souffrance. Il nous fascine et nous émeut et nous nous identifions à lui, à l'être humain contradictoire et compliqué, celui qui essaie de compenser son handicap physique par sa cervelle.
Cyrano est un héros tragique, romantique et comique en même temps.
Tragique car il ne connaît finalement que l'échec, car il est victime de son accord secret avec Christian et que sa bizarrerie physique le rend pathétique et superbe. Tragique encore parce que son secret n'est révélé qu'à la toute fin alors qu'il meurt et qu'il comprend que Roxane aurait pu l'aimer malgré tout.
Comique car il est truculent et drôle, insolite et burlesque.C'est un type qui marque les esprits comme Charlot au cinéma.
Romantique car il est passionnément épris d'une femme à qui il sacrifie tout pendant quinze ans, car il atteint au sublime à cause de son idéal jamais remis en cause et quand il dit à Christian mourant que Roxane, entre les deux hommes, a choisi vontontairement d'aimer Christian (ce qui est faux car Cyrano ne lui a toujours pas déclaré son amour, ne donnant ainsi pas de choix à faire à la jeune femme).
Rostand a su à l'instar de Shakespeare allier l'humour à la grandeur dans un mélodrame qui tient de la comédie héroïque et de la tragédie classique, ce qui a fait son succès.
Dans sa pièce dont il situe l'action en 1640 (et 1655 pour le dernier acte) , l'auteur a sans doute voulu parodier (et peut-être aussi rendre hommage à) Alexandre Dumas, Cervantès et Lope de Vega et à leurs aventures picaresques de cape et d'épée. En tout cas Rostand voulait s'éloigner des modes de l'époque qui se passionnait pour le réalisme et le théâtre d'Ibsen. A-t-il aussi voulu y placer une morale du genre l'esprit et la grandeur d'âme l'emporte sur l'apparence et la beauté plastique ? En tout cas cela tombe vaguement à plat car Cyrano, on l'a dit, meurt d'un accident stupide. En effet qu'est-ce que la grandeur quand on se prend un bout de bois sur la gueule ? Bon d'accord, la pièce de bois n'est pas tombée par hasard, Cyrano a été assassiné (vivant sans compromis avec les puissants, il s'était fait pas mal d'ennemis) mais cela aurait eu plus de panache s'il était mort en duel par exemple. Même la belle scène de fin ne parvient pas à rattraper une impression de gâchis. Cyrano est aimé de Roxane certes, mais il est mort... De son vivant, il ne fut pas grand-chose de son propre aveu : "Oui ma vie ce fut d'être celui qui souffle et qu'on oublie".
Cinq actes pendant de longues années
Edmond Rostand a composé "Cyrano de Bergerac" en 1897. Cette pièce en cinq actes est écrite en alexandrins pour la plus grande part et le rôle de Cyrano de Bergerac a été créé sur mesure pour un comédien célèbre de l'époque. Constantin Coquelin la joua 950 fois jusqu'à sa mort en 1909, ce qui est un tour de force étant donné la longueur du texte que le personnage principal doit dire. En 1913, le rôle est repris par un autre acteur, Charles Le Bargy qui fit de Cyrano un personnage moins extravagant que Coquelin ne l'avait joué.
Cyrano a été adapté de nombreuses fois en ballet, en films, téléfilms, opéras, en BD, etc. Roland Petit prêta son corps à Cyrano dans un ballet de 1959. Au cinéma c'est Claude Dauphin qui l'incarne dans un film de 1946 (réalisé par Fernand Rivers) puis José Ferrer dans un film américain de Michael Gordon en 1951. Plus près de nous on se souviendra de Gérard Depardieu dans le film de Jean-Paul Rappeneau en1990.
Un très bel album pour enfants écrit par Taï-Marc Le Thanh et illustré par Rebecca Dautremer est paru en 2005 aux éditions Hachette/Gautier-Languereau
La ville de Bergerac a édifié une statue au plus célèbre citoyen imaginaire né en son sein !
Pour en savoir plus sur ce personnage, on peut consulter un site très complet et passionnant
ici...