L‘une des séries les plus chères de l’histoire de la télévision. C’est aussi à ce titre que Rome fit irruption en août 2005 dans la grille des programmes du HBO. Réalisée en coproduction avec la BBC et la RAI, la fiction affichait un budget de plus de 100 millions de dollars pour une première saison de 12 épisodes d’une heure. Quelque 10 millions supplémentaires furent dépensés pour la promotion. Une fiction à la démesure de l’histoire qu’elle relatait. L’idée de retracer une grande fresque historique parlant de la “Révolution romaine” traînait dans les cartons depuis pas mal de temps. Il fallait qu’elle trouve ceux qui allaient l’en sortir. L’accord entre le Home Box Office et la chaîne publique britannique intervint en 2002, mais la gestation du projet prit deux années supplémentaires avant un tournage qui dura de mars 2004 à mai 2005.
Tout dans cette série est hors normes. Et cela lui confère une place particulière au panthéon des fictions de la télévision. Rome démontre que le petit écran peut légitimement nourrir de très grandes ambitions dans l’industrie du divertissement. Elle revendique l’idée que le cinéma n’a pas de monopole en ce domaine, que la vieille classification des sept arts majeurs est désormais dépassée et qu’il conviendrait de reconnaître que la TV est capable de produire des oeuvres qui ne sont ni des succédanés, ni des dérivés bas de gamme.
La première saison de Rome raconte l’ascension du proconsul Jules César. De sa victoire en Gaule contre l’Arverne Vercingétorix après le siège d’Alésia jusqu’à son assassinat aux Ides de mars en plein Sénat alors qu’il est devenu dictateur et a poursuivi la réforme de la République. On le suit dans ses campagnes jusqu’en Egypte où fut tué son rival Pompée, assassiné sur ordre du jeune Ptolémée XIII, mais également dans ses différents triomphes qui l’imposent comme le maître de ce qui va ensuite devenir l’Empire.
La saison 2 relate la rivalité entre Marc-Antoine et Octavien (Auguste), de l’assassinat de César en 44 avant J.C. jusqu’au triomphe d’Auguste qui deviendra le premier empereur romain après avoir défait Marc-Antoine lors de la bataille navale d’Actium en 31 avant J.C., bataille considérée comme la dernière guerre de la république romaine. Cette période est particulièrement troublée puisque marquée par les proscriptions (droit accordé à quiconque de tuer une personne condamnée de manière arbitraire et dont la condamnation a été affichée publiquement). La République se transforme en principat, puis en empire.
Parallèlement aux récits guerriers et politiques, est développée une narration centrée autour de deux soldats, Lucius Veronus (Kevin McKidd) et Titus Pullo (Ray Stevenson), dont les noms sont cités par César dans son récit de la guerre des Gaules. Les deux fantassins ont réellement existé, mais la série leur accorde une importance qui ne repose sur aucun document historique. C’est là que la fiction prend le relais et se substitue à la mémoire. C’est là que Rome trouve son identité comme l’explique Bruno Heller, le scénariste et producteur. “Nous avons essayé de trouver un équilibre entre ce que les gens attendaient par rapport aux précédentes fictions sur ce thème et une approche naturaliste. La série parle bien plus de la psychologie des personnes qui influencent l’histoire que d’un récit chronologique des faits.”
L’ambition de Rome n’était pas de réussir une reconstitution fidèle des événements, mais à travers le prétexte de l’Histoire de décrire une atmosphère, une manière de vivre et des moeurs, celles qui existaient à Rome à cette époque. De ce point de vue, la série est une magnifique réussite. Malgré la complexité des faits qui se sont relatés et le nombre important des personnages, on est immédiatement happé. Le réalisme des décors de Cinecittà, le souci du détail dans les costumes et la violence qui traverse le récit comme un fil rouge brûlant font beaucoup pour cette fascination.
De même, si des libertés sont prises avec les événements politiques et si certains acteurs majeurs sont ignorés en particulier dans le conflit entre les optimates et les populares, les grandes lignes sont respectées et l’on suit le conflit avec passion. Il est toutefois préférable d’avoir les idées à peu près claires sur la période pour ne pas se perdre dans les dédales du pouvoir. Rome n’est pas une série didactique, mais elle est une série exigeante. Le spectateur est incité à se renseigner sur le sujet pour mieux appréhender les épisodes.
Comme souvent dans ce genre de fresque, le scénario repose sur deux piliers principaux qui se complètent et se soutiennent l’un l’autre pour porter la narration. On pénètre dans l’intimité d’acteurs du pouvoir qui possèdent une réalité historique et dans l’intimité de gens ordinaires qui sont uniquement fictionnels. Cette technique narrative a été employée de manière fréquente, y compris par des écrivains aussi admirables que Léon Tolstoï, mais elle ne fait pas défaut, elle continue de fonctionner à la perfection. Les deux extrémités de l’échelle sociale sont montrées avec équilibre. On découvre un monde aux moeurs farouches, dures, où la violence est considérée comme faisant naturellement partie du quotidien, mais on découvre en parallèle des moeurs dévoyées et libres, un goût de la sophistication extrême et un raffinement capricieux. Rome veut lever le voile sur un univers fonctionnant suivant de nombreux paradoxes. Un monde fortement machiste et en même temps un monde dans lequel les femmes jouent un rôle crucial, subtil et finalement aussi important que celui des hommes.
Avant de prendre la direction de la série, Bruno Heller avait dans l’idée de faire une fiction sur les “petits Blancs américains”, il accepta finalement de faire une série sur les “petits Blancs romains”. Et de ce point de vue, il s’agit d’une réussite pure et simple. On s’immerge dans les ruelles et dans la vie ordinaire des Romains dont on peut supposer le réalisme. Le nombre de figurants est particulièrement impressionnant, de même que les décors dont une partie a ensuite brûlé. Ce qui a été sauvé a servi au tournage du Livre VI de la série française Kaamelot. La manière de filmer est elle aussi remarquable et elle n’a strictement rien à envier à une production cinématographique. On est souvent pris par le sentiment de suivre un film très long.
La critique fut largement enthousiaste à la sortie de la série et quatre Emmy Awards virent la récompenser. Mais en juillet 2006, le patron du HBO, Chris Albrecht, annonça que l’aventure s’arrêtait à la fin de la deuxième saison pour des raisons financières. Rome alla rejoindre sur l’étagère réservée aux chefs d’oeuvre une autre série du HBO qui, elle aussi, ne dura que deux saisons, qui elle aussi parlait d’une époque historique (celle de la Grande Dépression américaine), Carnivàle. Dans le cas de Rome, cela est d’autant plus dommage que des suites avaient été imaginées jusqu’à la naissance du Christ en Palestine et il aurait été intéressant de voir comme cette partie de l’Histoire aurait pu être relatée.
Heller reconnaissait en acceptant de participer à l’aventure que celle-ci ne pouvait être tentée que par une chaîne comme le HBO. On ne peut que lui donner raison. Il est bon que la télévision s’assigne des projets hors normes, qu’elle affirme son ambition et son savoir-faire.