Le 18 mars 1871, une émeute éclate à Paris, sur la butte Montmartre. Adolphe Thiers, chef du gouvernement provisoire de la République, renonce à la réprimer et s'enfuit à Versailles avec tous les corps constitués.
C'est l'amorce de la «Commune». Maîtres malgré eux de la capitale, les révolutionnaires et militants socialistes vont offrir à la bourgeoisie républicaine l'occasion de se débarrasser une fois pour toutes de la «question sociale». Il en coûtera 20.000 victimes.
Provocations
Après avoir capturé l'empereur Napoléon III et son armée à Sedan, les Prussiens assiègent la capitale et battent les armées que Léon Gambetta, le jeune ministre de l'Intérieur, a réunies en province. Réfugié à Bordeaux, le gouvernement de la Défense nationale est contraint de signer un armistice le 28 janvier 1871 et de préparer des élections générales.
Conformément à la convention d''armistice, les vainqueurs défilent le 1er mars dans une capitale en deuil, devant des statues recouvertes d'un voile noir. Dès le lendemain, à Bordeaux, Adolphe Thiers (73 ans), élu le 17 février «chef du pouvoir exécutif de la République française», obtient de l'Assemblée nationale qu'elle ratifie les préliminaires de paix.
Les Parisiens ruminent leur humiliation. Soulagés par la fin du siège et des pénuries alimentaires, ils se sentent néanmoins trahis par leurs gouvernants. À Montmartre, le maire du XVIIIe arrondissement, un certain Georges Clemenceau (31 ans), attise les ressentiments de la population en affichant une proclamation où l'on peut lire : «On vous a livrés sans merci. Toute résistance a été rendue impossible».
L'Assemblée nouvellement élue et où dominent les monarchistes attise les tensions. Après l'arrêt des combats contre les Prussiens, elle renonce à revenir à Paris, par peur de la capitale et de ses deux millions d'habitants aux sentiments majoritairement républicains, voire socialistes. Le gouvernement décide donc le 10 mars de quitter Bordeaux pour... Versailles, la ville royale !
Dès le 11 mars, parmi ses premières mesures, il lève sans préavis le moratoire sur le remboursement des effets de commerce et des loyers qui avait été instauré au début de la guerre. Il supprime aussi l'indemnité due à la garde nationale (30 sous par jour). Or, à Paris, la garde nationale rassemble pas moins de 180.000 hommes issus de la petite bourgeoisie et du monde ouvrier qui se sont portés volontaires pour défendre la capitale contre l'ennemi et se sont habitués à vivre sous les armes.
Massacre
L'atmosphère s'échauffe. Là-dessus, Thiers décide de récupérer 227 canons qui avaient été financés par une souscription des Parisiens en vue de la défense de la capitale. La garde nationale de Paris a disposé ces canons sur les buttes de Montmartre et de Belleville pour les mettre hors d'atteinte des Prussiens lors de leur entrée dans la capitale.
Le samedi 18 mars, coupant court aux négociations avec les habitants de Montmartre, Thiers envoie une colonne de 4.000 soldats avec l'ordre de récupérer les canons. Mais l'affaire est mal préparée et les soldats perdent du temps à chercher des attelages. On sonne le tocsin. La foule s'assemble. Les soldats se débandent ou se rallient au petit peuple.
Le général Lecomte, qui commande l'une des brigades, est fait prisonnier. Un autre général, Clément-Thomas, qui se promène sur les boulevards, est arrêté à son tour par les émeutiers ; on lui reproche d'avoir participé à la répression de juin 1848. À 17 heures, les deux hommes sont exécutés sous les yeux horrifiés du jeune Georges Clemenceau, impuissant à calmer la foule.
Quelques émeutes se produisent au même moment en d'autres quartiers de Paris et des soldats fraternisent avec les insurgés. Les bataillons de la garde nationale se groupent en fédération d'où le nom de «fédérés» que l'on donnera aux insurgés.
Adolphe Thiers renonce à réprimer l'émeute. Peut-être juge-t-il l'entreprise trop risquée avec 30.000 soldats à la fidélité incertaine face aux 150.000 hommes de la garde nationale ? Plus sûrement songe-t-il à renouveler l'opération du prince de Schwarzenberg à Vienne, en octobre 1848 : une évacuation en ordre de la ville suivie d'une reconquête militaire. Il ordonne donc à l'armée et aux corps constitués d'évacuer sur le champ la capitale. L'évacuation commence avant même le meurtre des généraux Lecomte et Clément-Thomas. Elle est achevée le soir même.
Abandonné par la République, Paris s'en remet à des militants jacobins nostalgiques de Robespierre (comme l'avocat Charles Delescluze), blanquistes (partisans du théoricien de la révolution Auguste Blanqui, qui a été jeté en prison préventivement le 18 mars), proudhoniens (héritiers de l'utopiste Pierre-Joseph Proudhon, mort en 1865), socialistes, anarchistes... Pris de court par le vide du pouvoir, ces militants au nombre d'une trentaine se constituent en Comité central et se réunissent dans la plus grande confusion à l'Hôtel de ville.
Le 21 mars, à Versailles, Jules Simon, ministre des Affaires étrangères et républicain bon teint, discourt ainsi : «Est-ce que nous ne savons pas que les réquisitions commencent, que les propriétés privées vont être violés et que nous allons voir, je ne dirai pas de chute en chute, mais de progrès en progrès, dans cette perversité savamment calculée, la société toute entière sapée par la base, s'effondrer... Mais que l'émeute le sache bien, si l'Assemblée est à Versailles, c'est avec l'esprit de retour, pour combattre l'émeute et la combattre résolument».
À son encontre, Clemenceau, Hugo, Schoelcher, Gambetta et quelques autres républicains tentent mais en vain de faire entendre à Versailles la voix de la modération.
Confusion et dérision
À Paris, dans les faits, les insurgés s'en tiennent à une gestion relativement sage. Ainsi ne touchent-ils pas à l'or de la Banque de France, se privant délibérément d'un atout stratégique dans la lutte contre les Versaillais.
Les élections municipales, organisées le 26 mars, traduisent un certain désintérêt des Parisiens pour la révolution municipale en cours, avec en général moins d'une moitié de votants (il est vrai que beaucoup de bourgeois n'ont pas attendu pour fuir la capitale). La Commune est néanmoins proclamée le 28 mars. Elle est représentée par une assemblée de 79 élus et son nom fait référence à la Commune insurrectionnelle qui mit bas la royauté le 10 août 1792. Parmi les élus, on compte une vingtaine de modérés ou de bourgeois qui ne tarderont pas à démissionner.
Dans une «Déclaration au peuple français», Paris suggère aux autres communes de France une association fédérale, assez confuse au demeurant. Quelques émeutes se produisent à Lyon, Marseille, Toulouse, Saint-Étienne, Le Creusot, mais elles sont vite réprimées et la France, dans son ensemble se tient coite. Les Parisiens ne contiennent plus leur vindicte contre les «cul-terreux» de la province. Le mépris est réciproque.
La capitale doit dès lors supporter un deuxième siège, non par les Prussiens mais par l'armée française. Elle se protège derrière les fortifications massives (les «fortifs») qui enserrent la capitale depuis qu'Adolphe Thiers lui-même en a ordonné la construction trente ans plus tôt, par la loi des Bastilles. Les premières escarmouches commencent le 2 avril près du mont Valérien avec l'occupation de Courbevoie par les «Versaillais».
Entre temps, la Commune proclame la séparation de l'Église et de l'État, l'instruction gratuite, laïque et obligatoire pour les garçons et les filles... autant de mesures qui nous paraissent aujourd'hui aller de soi. Elle met en place une dizaine de commissions (Guerre, Relations extérieures....) pour tenter de gouverner la capitale, cependant que les quartiers et les arrondissements se gèrent comme ils peuvent.
On n'en finirait pas de citer les décisions de ces commissions, le plus souvent restées lettre morte : saisie des biens de l'Église, plafonnement du salaire des fonctionnaires et interdiction du cumul des fonctions (les postes se multiplient néanmoins, avec uniformes et galonnettes), interdiction du travail de nuit pour les ouvriers boulangers (à la grande déception du peuple qui tient au pain frais du matin), interdiction des jeux de hasard et fermeture des bordels, arrestation des ivrognes, destruction de la colonne Vendôme à l'initiative du peintre Gustave Courbet qui dénonce ce «monument de barbarie» et sera plus tard condamner à en payer la reconstruction pour 300.000 francs-or....
La Commune, sous l'impulsion d'un blanquiste dénommé Raoul Rigaud, étend les prérogatives de la police et de la censure. Le 3 avril, elle publie le «décret des otages» du 2 prairial An 79. C'est ainsi que l'archevêque de Paris, Monseigneur Darboy, arrêté le 31 mars précédent, sera fusillé sans jugement avec quatre autres ecclésiastiques... et un badaud. Les Communards fusilleront au total 480 otages... Beaucoup moins, soulignons-le, que les Versaillais ne massacreront de gens pendant la Semaine Sanglante qui mettra fin à la Commune.