Le mot nymphomanie vient du grec numphê (qui signifie «jeune fille» et «clitoris») et mania («fureur», «passion»). Il désigne une exagération des besoins sexuels chez la femme, sans que l'on sache très bien à partir de quel moment ces besoins sont exagérés. Imprécision fatale, comme le démontre l'étude des quatre cas cliniques suivants...
LE CAS DE MADEMOISELLE T.: En 1841, Melle T., âgée de 29 ans et fille d’un fermier du Massachusetts, est déclarée atteinte de nymphomanie. Les médecins qui décrivent son cas dans le Boston Medical and surgical Journal disent qu’elle énonce «les plus effroyables obscénités», que ses gestes expriment des «sentiments libidineux», que son utérus est dilaté, son vagin excessivement humide et surtout —signe révélateur— son clitoris «long et tuméfié». Ils lui appliquent des substances caustiques dessus et testent d’autres remèdes traditionnels tels que saignées et douches froides. Au bout de plusieurs semaines, la jeune fille est guérie! Un nouvel examen laisse apparaître chez elle «tous les signes de le pudeur», y compris un clitoris tout petit et rétracté.
LE CAS DE LA VEUVE R.: En 1855, Mme R., petite veuve corpulente de 25 ans et de nature enjouée, va consulter le Dr Bostwick en désespoir de cause. «Si je ne peux être soulagée de cette torture, je suis sûre que le conflit entre mon sens moral et mes désirs lubriques me mènera droit à la tombe» explique-t-elle. Mme R. souffre en effet de désirs tels qu’elle a le plus grand mal à garder une attitude convenable en présence d’hommes. Elle s’accuse aussi de pratiquer l’onanisme et de lire des romans. «Je suis sûre que les désirs libidineux ne peuvent être naturels, dit-elle, ils sont sûrement l’effet d’une maladie». Le Dr Bostwick, compatissant, lui prescrit des bains de siège, un régime strict, des lavages internes, des sacs de glace appliqués sur le sexe et la pose de ventouse sur l’utérus (pour en faire sortir le mauvais sang). Au bout de plusieurs semaines, ils affirme avoir guéri cette veuve de Boston «tout à fait respectable» qui finira d’ailleurs par se remarier…
LE CAS DE MADAME B.: En 1856, Mme B., bourgeoise mariée de 24 ans, se rend au cabinet du Dr Horatio Storer pour lui confier avec horreur qu’elle a des rêves érotiques. Pendant l’examen, le gynécologue lui palpe le clitoris. Elle pousse un cri de plaisir qui lui fait dresser les cheveux sur la tête. Il préconise immédiatement une diète sexuelle sevère: Monsieur B. est prié de quitter le domicile conjugal parce que sa femme est «incapable de se contenir». Madame B., elle, est privée de viande et de brandy (qui «excitent les pulsions animales»). Elle doit remplacer son matelas et son oreiller de plume par d’autres rembourrés de cheveux, afin de rendre son sommeil moins sensuel. Elle doit prendre un bain froid matin et soir et, surtout, elle doit arrêter d’écrire le roman d’amour sur lequel elle travaille en tant qu’écrivain. Apparemment, la thérapie fonctionne: le Dr Storer se vante d’avoir éliminé les rêves «lubriques» de Mme B. Ouf, sauvée.
LE CAS DE «LA PATIENTE»: En 1885, une femme de 29 ans surnommée «la patiente» se présente au Philadelphia general hospital devant le Dr Charles Mills qui lui demande de relater l’histoire de son calvaire. Elle écrit : «Avant d’avoir six ans, mes pulsions sexuelles furent éveillées par mes jeux polissons avec d’autres enfants et, à douze ans, l’un de ceux qui m’avaient détournée du droit chemin m’informa que jamais un homme ne m’épouserait s’il venait à l’apprendre. (…) J’avais des orgasmes sans le vouloir. Entrer dans un bain ou faire ma toilette intime en provoquait souvent un. (…) Mon médecin me prescrivit d’abord des médicaments et m’incita à travailler ma volonté. (…) Je subis ensuite une clitoridectomie, mais la rémission fut de courte durée. Peut-être en raison de la manière particulière dont fut réalisée l’opération —en cousant ensemble les bords de le plaie— le clitoris repoussa, de sorte que d’autres médecins eurent du mal à croire à son ablation antérieure. La deuxième fois, les bords furent maintenus bien écartés jusqu’à cicatrisation. Mon soulagement ne dura que six semaines. J’étais parfois tentée de rechercher la compagnie des hommes afin d’assouvir mon désir, mais ma timidité et ma fierté m’en empêchaient. Je ne voulais pas m’abaisser à donner l’image d’une fille facile et ne souillais jamais mes lèvres par des paroles impures. (…) En 1881, je harcelais les médecins pour qu’ils m’opèrent une nouvelle fois, mais je reçus à la place un traitement pour les nerfs. (…) Je consultais un médecin qui constata une hypertrophie de mes deux ovaires. Il fut décidé, à titre expérimental douteux, que la seule chose à faire consistait à mes les ôter. Depuis l’ablation, je suis capable de contrôler mes désirs lorsque je suis éveillée, mais parfois, dans mon sommeil, je ressens une sorte d’orgasme. Mes pulsions sexuelles n’ont en rien diminué». Terrifiant témoignage que celui de cette victime qui, passant d’un médecin à un autre, se fait amputer de plusieurs parties de son corps pour essayer de guérir de ses orgasmes.