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Le Massacre de la Saint Barthélemy
Le massacre de la Saint-Barthélemy est l'un des événements les plus dramatiques de l'histoire de France. Point culminant de la guerre civile et religieuse qui déchirait le royaume, il a inspiré de nombreux historiens et écrivains, qui ont tenté d'en comprendre les causes et d'en découvrir les responsables.

Cependant, la rareté, voire l'absence de documents interdit les affirmations catégoriques, les seules sources étant des témoignages postérieurs ou des mémoires justificatifs des principaux acteurs du drame.


L'attentat contre l'amiral de Coligny

Durant l'été 1572, les princes protestants, qui, à l'image de Coligny, préféraient se tenir éloignés de la cour où ils craignaient d'être assassinés, se réunirent à Paris pour assister au mariage d'Henri de Navarre avec Marguerite de Valois, soeur de Charles IX. L'union avait été laborieusement négociée entre Catherine de Médicis et Jeanne d'Albret ; retardée un temps par le décès de la reine de Navarre, la cérémonie eut lieu le 18 août 1572.

Le 22 août au matin, un attentat fut perpétré contre l'amiral de Coligny, auquel celui-ci réchappa. L'historiographie a longtemps reconnu en Catherine de Médicis le commanditaire de l'attentat, mais la responsabilité des Guise, et derrière eux de l'Espagne (Philippe II, le duc d'Albe, l'ambassadeur Zúñiga), est plus vraisemblable. Ce qui est certain, c'est qu'ensuite plus personne ne paraît avoir été en mesure de contrôler la situation, et les événements se précipitèrent. L'attentat attisa l'inquiétude légitime des protestants et la crainte de la famille royale, alimenta le bruit d'une conjuration huguenote - renforcé par le précédent de Meaux -, et fit se multiplier les critiques contre le roi, accusé d'avoir commandité l'assassinat de Coligny.


Le massacre

La décision du massacre des chefs protestants a été prise par le roi (et Catherine de Médicis) en son Conseil, avec cette réserve que la responsabilité de cette décision incombe, semble-t-il, plutôt aux Guise. Il est certain que, dès la décision prise de la suppression violente des chefs protestants - mise à exécution dans la nuit du 23 au 24 août -, il y eut dérapage, cycle de violence panique et gestation d'une seconde Saint-Barthélemy, beaucoup plus ample, un événement que les ordonnateurs du massacre «politique», quels qu'ils soient, n'avaient pas prévu.

La première partie du massacre se déroula au Louvre et dans les hôtels des princes protestants. Au Louvre, certains, tels Henri de Navarre et Henri de Condé, princes du sang, furent contraints d'abjurer et ne furent épargnés qu'à cette condition, tandis que d'autres seigneurs périssaient. Quant à Coligny, il fut assassiné par des hommes du duc de Guise.

Par la suite, les hommes de l'ancien prévôt des marchands, Claude Marcel, un catholique guisard, poursuivirent l' œuvre des tueurs mandatés par le roi, et ils multiplièrent les assassinats non commandités par quelque autorité que ce soit. Tous les contemporains insistent sur le caractère inattendu d'une «fureur incroyable», brusquement surgie du peuple et impossible à contrôler. De nombreux témoignages ont rapporté l'acharnement particulier sur les corps des victimes - dénudés, traînés dans la boue par des enfants, décapités, émasculés. Les massacres ne cessèrent pas avant le 29 août.

Pour comprendre la dimension populaire du massacre, il convient de rappeler l'atmosphère parisienne en cette fin du mois d'août 1572 : la cherté renforcée par l'afflux d'aristocrates venus pour le mariage royal ; des sermons violemment antiprotestants dans les églises, dénonçant en particulier «l'accouplement exécrable» entre Marguerite de Valois et Henri de Navarre ; des pamphlets annonçant la colère de Dieu pour punir les hommes pécheurs ; des bruits et des rumeurs suivant lesquels le roi lui-même «voulait se faire huguenot» ; enfin de fortes chaleurs et une ville surpeuplée.

Bref, Paris était virtuellement en état d'émeute dès le 23 août. Aussi, dès que la nouvelle se répandit du massacre des chefs protestants, une partie de la population passa à l'action. Partout le pillage accompagna le massacre, et aucun ordre ni aucune force ne semblent avoir été en mesure de pouvoir l'arrêter. Les assassins n'appartenaient pas qu'aux classes populaires : les catholiques, «zélés» et tueurs, se recrutaient également dans les milieux de la boutique et de l'office, c'est-à-dire dans les rangs de la bonne bourgeoisie parisienne.


La culpabilité royale

Le mardi 26 août, devant le parlement de Paris, lors d'un solennel lit de justice, Charles IX déclara que «ce qui est ainsi advenu a été son exprès commandement (...) pour obvier et prévenir l'exécution d'une malheureuse conspiration faite par ledit amiral et sesdits adhérents et complices».

Le lendemain, le roi fit diffuser une déclaration où il expliquait que l'exécution n'avait eu lieu que sur un ordre royal. Ainsi, le souverain décidait de prendre officiellement en charge la responsabilité du massacre.


Réparations et bilan

En province aussi des massacres eurent lieu : à Orléans (le 26 août), à La Charité-sur-Loire, à Meaux, à Bourges, à Saumur, à Angers, à Lyon (le 31 août), à Troyes, à Rouen, à Toulouse (le 4 octobre), à Albi, à Gaillac (le 5 octobre), à Bordeaux (le 3 octobre), à Romans (les 20 et 21 septembre), à Valence, à Orange; dans d'autres villes se manifesta une violence diffuse, difficile à reconstituer, faute de sources.

Peut-on établir un bilan ? Certains contemporains ont avancé le chiffre de 100'000 morts. Les historiens contemporains parlent de 5'000 (chiffre minimal) à 100'000 (chiffre maximal) victimes pour la France, dont sans doute 2'000 à Paris, ce qui représente environ 1 % de la population de la capitale. L'événement fut suivi d'une vague de reconversions, et marqua un reflux quantitatif des protestants, déjà perceptible depuis les années 1560.


Une monarchie fragilisée

Si pour beaucoup de catholiques la Saint-Barthélemy ne fut que l'accomplissement d'un commandement de Dieu au souverain, par cette violence homicide décidée au sommet de l'Etat, et quels qu'en fussent les initiateurs, le pouvoir monarchique s'était désacralisé. Désormais, et pour longtemps, le fondement même de la monarchie - c'est-à-dire la conception d'un roi de justice institué par Dieu pour l'ensemble de ses sujets, bouclier protecteur de tout son peuple contre les ennemis, intouchable parce que résolument situé au-dessus de tous les partis - se trouvait fragilisé. Après le massacre, de nombreux et violents pamphlets huguenots dénoncèrent, par le texte et par la gravure, la barbarie catholique et royale. En même temps, malgré la déclaration royale du 26 août 1572, le peuple catholique prit conscience, lors du massacre, de sa force politique et de son autonomie possible.

Ainsi l'événement fit-il resurgir la théorie de la résistance à l'Etat, une résistance qui pouvait aller jusqu'au régicide si le souverain outrepassait certaines limites - ces limites que résumait la formule en usage depuis le début du XVI e siècle : «Le roi doit pouvoir ce qu'il veut, mais il ne doit pas vouloir tout ce qu'il peut.» L'une des principales thèses émises juste après la Saint-Barthélemy pour tenter d'y trouver une explication politique prétendait d'ailleurs que le premier massacre, celui expressément commis sur ordre du roi, visait les grandes lignées nobles plutôt que les protestants. C'est notamment ce qu'affirma Henri de Montmorency-Damville dans sa Déclaration de novembre 1574 justifiant sa prise d'armes contre le roi ; c'est aussi ce que soutenait un célèbre pamphlet, Discours merveilleux de la vie, actions et déportements de Catherine de Médicis reine mère, publié en 1574 après la mort de Charles IX.

Dès 1589, dans son Delle ragion di Stato («De la raison d'Etat», traduit en français en 1599), l'Italien Giovanni Botero montrait que l'urgence d'un péril entraînait la nécessité pour le détenteur du pouvoir de le réduire sans tarder. Ainsi, Charles IX, en invoquant l'imminence du péril pour justifier le massacre, mit en pratique une notion nouvelle, qui sera théorisée à peine quinze ans plus tard, et dont l'histoire n'est toujours pas close : la «raison d'Etat», par laquelle justifier l'abus de pouvoir peut se faire au nom même de l'exercice du pouvoir. En cela, la Saint-Barthélemy est l'un des événements fondateurs de la modernité en politique.