UN PEU DE TOUT... BEAUCOUP DE RIEN
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12
Jan 2011

Michel Onfray

Posté dans Café Philo

Michel Onfray
Michel Onfray est un philosophe rebelle. Pour vous aider à mieux cerner sa pensée et à apprivoiser les séminaires que beaucoup d'entre vous vont peut-être découvrir, je vais essayer de brosser son portrait intellectuel. Mais, avant de m'y atteler, force est de reconnaître qu'il est souvent périlleux de dresser une taxinomie des philosophes, de les classifier et les rattacher à telle ou telle école, tant à cause de la multiplicité des écoles (ce que Diogène Laërce appelle les sectes dans Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres), de la variété de courants au sein d'une même école, que de la porosité des frontières entre écoles, sans compter les emprunts et la « transfugie » eu égard au revirement idéologique : on se souvient d'un Aristote platonicien au début avant de s'écarter radicalement des thèses de son maître ! Michel Onfray n'échappe pas à cette constatation. Aussi vais-je esquisser une description de ses réflexions en matière de philosophie, de théologie et de politique qui, à mes yeux, lui corresponde le plus.

Sur l'échiquier philosophique, il est plutôt héraclitéen que parménidien : il préfère le fleuve à la sphère, se plaçant ainsi plutôt dans l'optique dynamique que statique pour interpréter le monde ; aussi soutient-il la doctrine du perspectivisme de Nietzsche quand il s'agit de disserter sur le concept de vérité. Il est plutôt démocritéen que platonicen au sens où il regarde, comme Aristote, plutôt la terre que le ciel ; en cela, il se rattache au courant matérialiste, comme son précurseur et idole Démocrite. Il est plutôt épicurien que stoïcien, et plutôt cyrénaïque et cynique qu'épicurien : il préfère la diététique des désirs d'Epicure à la suppression des désirs d'un Zénon pour atteindre l'ataraxie et le bonheur ici-bas, et préfère l'hédonisme d'Aristippe de Cyrène ou la diététique des plaisirs d'un Antisthène à l'ascèse rigoureuse d'Epicure ; à ces écoles il emprunte leur antiplatonisme commun, et aux unes et aux autres les points positifs de leurs doctrines, qu'il recycle éventuellement. Il a aussi été influencé par Marx - d'où son anti-libéralisme et altermondialisme, mais il n'est pas marxiste -, Nietzsche et Freud.

Sur l'échiquier théologique, il est plutôt athée que théiste.

Sur l'échiquier politique, il est plutôt de gauche que de droite - d'où son débat avec le président de la République dans Philosophie Magazine n°8 sous le titre « Confidences entre ennemis », et ses nombreuses piques déguisées ou non à son égard dans ses séminaires, articles ou interviews. Il se situe plutôt à gauche de la gauche. C'est avec cette gauche-là, c'est-à-dire la gauche libertaire, la gauche radicale, la gauche antilibérale, qu'il entend réaliser le rêve d'Helvétius : le plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Voilà la dimension politique qu'il donne à l'hédonisme.

Son hédonisme

Michel Onfray est, comme ses maîtres à penser Démocrite, Aristippe de Cyrène, Epicure et autres Lucrèce, un fervent prêcheur de l'hédonisme, la doctrine de la recherche du plaisir, et de l'eudémonisme, la doctrine qui fait de la recherche du bonheur le but de l'existence. C'est donc un philosophe matérialiste, hédoniste, eudémoniste et athée, pour lequel il faut promouvoir le bonheur « et le corps. Je crois qu'effectivement il n'y a rien après la mort et qu'une fois mort il ne reste plus que la décomposition. Avant la mort, il nous faut savoir que nous disposons d'un bien précieux : c'est notre corps, c'est notre vie, c'est notre existence, c'est ce qu'on doit pouvoir faire de notre existence. Je crois que si on veut vraiment faire de la philosophe, il faut en finir avec la théologie ; si on on veut réussir notre vie ici-bas, il faut considérer qu'il n'y a pas d'au-delà ou d'arrière-monde. » Des propos qui ne sont pas sans rappeler Démocrite : « Les insensés vivent sans jouir de ce qu'offre la vie (2). » Et qui rappellent aussi l'influence de Zarathoustra sur son athéisme.

Son athéisme

Michel Onfray est l'ennemi juré de toutes les autorités religieuses du monde pour son athéisme militant. Conjointement à de nombreux séminaires donnés çà et là à travers le monde, il a publié, entre autres, un Traité de l'athéologie pour fustiger Dieu et les religions, pures inventions de l'homme. Il souhaite instaurer une « morale post-chrétienne » et affirme que Jésus n'a jamais existé autrement que comme un « personnage conceptuel » au sens de Deleuze ; autrement dit, Jésus-Christ est une fiction : « Ma thèse est que Jésus n'a pas existé historiquement [...]. Ce n'est pas Jésus qui crée le christianisme mais le christianisme qui crée Jésus. » Il en veut aux trois grandes religions de promouvoir l'ascétisme et obscurantisme : « Le refus des Lumières caractérisent les religions monothéistes : elles chérissent les nuits mentales pour entretenir leurs fables. [Elles sont] animées par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l'intelligence ; haine de la liberté ; haine de tous les livres au nom d'un seul ; haine de la vie ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir ; haine du féminin ; haine du corps, des désirs, des pulsions. » Il en veut aux autorités religieuses et autres institutions et non aux croyants, qu'ils considèrent comme des victimes d'une tromperie, comme il l'explique lui-même dans cette interview télévisée, où apparaissent deux autres traits de son personnage : le sens de la répartie et les piques.

Ses piques

Michel Onfray est connu pour ses pamphlets, son franc-parler, son sens de la répartie, sa vivacité et sa fécondité intellectuelles hors pair. Mais il est aussi réputé pour ses piques - parfois caustiques - envers ses détracteurs et prises de position parfois radicales ou provocantes (comme dans son Anti-Manuel de Philosophie, lorsqu'il disserte sur les questions « Pourquoi ne pas vous masturber dans la cour du lycée ? », « Un éducateur pédophile choisit-il sa sexualité ? », « Faut-il être menteur pour être président de la République ? »...). Sans doute applique-t-il la maxime de Diogène de Sinope, pour lequel un philosophe qui ne dérange pas n'est pas un philosophe. Peut-être aussi les stigmates dans son subconsicient freudien des diatribes et railleries des Cyniques contre Platon, ou de l'anticonformisme du même Diogène. En tout cas, il a avec ce dernier comme point commun l'antiplatonisme.

Son antiplatonisme

Michel Onfray rejette la doctrine du philosophe-roi ou du roi-philosophe de Platon. Pour lui, une cloison étanche doit séparer le pouvoir et le contre-pouvoir ; la place du philosophe est dans ce dernier ; tout philosophe transfuge est un « collaborateur » et celui qui reste dans son camp, un « résistant » : « Il y a deux façons de faire de la philosophie au moins : une façon qui suppose la résistance et une façon qui suppose la collaboration. [...] Il y a des philosophes qui collaborent au pouvoir (Platon par exemple) et d'autres qui résistent au pouvoir, qui n'entendent pas apporter leurs savoirs, leurs connaissances, leur culture au tyran, au prince, au roi, soit pour en faire un philosopqhe-roi, soit un roi-philosophe, ce qui était la grande obsession de Platon et qui est la grande obsession d'un certain nombre d'intellectuels d'aujourd'hui, qui sont proches du pouvoir, quel qu'il soit - de gauche comme de droite. » On peut ranger du côté des résistants les philosophes comme Démocrite, La Boétie, Helvétius, Schoepenhaeur, Stirner, Nietzche, Deleuze, Foucault, dont il emprunte, entre autres, l'anticonformisme et l'adhésion aux théories de la micro-résistance. Quant aux « collaborateurs », il prend soin de laisser à son auditoire ou à son lectorat l'audace d'en égrener la liste... Dans « Faut-il être menteur pour être président de la République ? », il dénonce les moeurs politiques, teintées de mensonge et de machiavélisme, se faisant par la même occasion des ennemis aussi dans la classe politique. Se mêler de politique serait sombrer dans ces deux vices : « On voit mal comment un homme décidé à sacrifier sa vie à la vérité pourrait faire une carrière politique, que ce soit dans les plus bas étages ou dans les sommets. Car, en matière de politique, il n'existe que deux questions : comment accéder au pouvoir ? Et, une fois parvenu au sommet, comment s'y maintenir ? Les deux interrogations souffrent la même réponse : tous les moyens sont bons. »

Michel Onfray est surtout connu pour s'être rebellé contre l'enseignement officiel de la philosophie, qui a, selon lui, consacré l'idéalisme platonicien et chrétien en mettant en avant les idéalistes comme Descartes, Hegel, Kant, Heidegger... et en omettant sciemment les matérialistes ou athées comme Gassendi, Helvétius, La Metrie, d'Holbach, Feuerbach... Autrement dit, le système éducatif enseignerait l'idéalisme et non la philosophie ; il apprendrait non à philosopher mais à obéir à un dogme ; il enseignerait non pas les diverses manières de convevoir le monde mais la pensée unique de Platon. Le rebelle claqua alors la porte de l'Education nationale en 2002, quittant le lycée où il enseignait pour fonder l'Université populaire de Caen. Et écrire sa Contre-Histoire de la philosophie, publication dans laquelle il exalte l'hédonimse et l'eudémonisme en réhabilitant les penseurs mis de côté ou oubliés par l'historiographie dominante : « Nous vivons sous le régime d'écriture platonicien de l'histoire de la philosophie : Platon organise l'écriture de l'histoire de la philosophie aujourd'hui. Il y a trois catastrophes qui dominent la modernité, qui sont trois variations sur le thème de l'idéalisme : l'idéalisme platonicien, l'idéalisme chrétien et l'idéalisme allemand. Et nous vivons sous l'empire de ces trois idéalismes, de trois façons de pratiquer l'idéalisme. Je propose une façon alternative. [...] Pourquoi y a-t-il un oubli de la philosophie matérialiste dans l'histoire des idées ? Pourquoi fait-on d'un certain nombre d'individus comme Démocrite, Leucippe et les sophistes des présocratiques alors qu'ils sont des contemporains de Socrate ? », s'indigne-t-il.

Michel Onfray critique, dans sa Contre-histoire (tome 4), les parangons de la philosophie des Lumières que sont Voltaire, Kant, Rousseau, etc. pour trois raisons principales : leur « philosophie salonarde », le bridage de la Raison et l'infamie de quelques-unes de leurs pensées. En effet, leur philosophie salonarde, réservée aux gens du sérail, n'est pas, dit-il, faite pour éclairer le peuple mais pour préserver les privilèges de l'aristrocratie ; il vaut mieux pour eux discuter dans les salons, entre philosophes, pour ne pas mettre en péril la bourgeoisie. Par ailleurs, l'usage qu'ils font de la Raison est bridé, comme en témoigne La Critique de la Raison pure de Kant, pour qui la Raison peut s'occuper de tout sauf de la foi, perpétuant ainsi le paulinisme, la doctrine de Paul de Tarse (Saint-Paul). Même coup de poing à Descartes, qui écarte, un siècle plus tôt, la religion et la monarchie des champs d'action de la Raison. Pire, assène-t-il, ils ont tenu des propos ou défendu des thèses infâmes sur le racisme, la misogynie, l'inégalité ontologique... Aux philosophes classiques des Lumières, adoubés par l'idéologie dominante, Michel Onfray oppose ceux qu'il a baptisés les « ultras des Lumières » (Meslier, La Mettrie, Helvétuis, d'Holbach et Sade) pour leur audace à ne rien écarter - y compris la monarchie et la religion - des lueurs de la Raison, à laquelle ils ne posent pas de limites. Autrement dit, l'historiographie dominante a fait des seuls premiers les figures emblématiques des Lumières alors que ce sont les seconds qui ont apporté plus de lumière pour combattre les ténèbres et préparer la Révolution française. Que les premiers soient quasiment tous déistes et les second athées, voilà, pour lui, la preuve de la célébration des avatars de l'idéalisme platonicien et de l'ostracisme anti-matérialiste !

Démocratiser la philosophie et promouvoir son enseignement sans tenir compte des castes platoniciennes, voilà un nouveau signe de l'opposition de Michel Onfray à Platon, à qui il reproche de prêcher une philosophie élitiste, réservée à l'aristocratie, et d'avoir cloué au pilori les sophistes et leur idée de la philosophie pour tous. Il lui reproche aussi d'avoir projeté de brûler tous les écrits de Démocrite. A défaut de pouvoir réaliser un tel autodafé, Platon, rapporte-t-il, ne cite, dans ses oeuvres, ni Démocrite ni Aristippe, sauf une seule fois pour reprocher à ce dernier de n'avoir pas assisté au suicide de Socrate. Manière subtile, conclut-il, d'enterrer le matérialisme et faire triompher son idéalisme. Projet que réalisera le christianisme, comme s'indigne Montaigne dans ses Essais : « La destruction chrétienne des bibliothèques a plus nui aux lettres que tous les feux barbares. »

Ses combats

Rébellion contre l'idéalisme platonicien, rébellion contre l'historiographie de la philosophie, rébellion contre le système éducatif, rébellion contre le libéralisme, rébellion contre la classe politique, rébellion contre les philosophes « collaborateurs », rébellion contre les religions monothéistes... Michel Onfray est décidément un philosophe rebelle qui rêve d'une autre société : une société à la fois débarrassée de l'emprise des religions monothéistes et des fléaux que sont l'ultralibéralisme, le racisme, la xénophoblie, l'ethnocentrisme, l'intégrisme, l'intolérance, la paupérisation... ; et surtout une société dans laquelle le bonheur soit réservé au plus grand nombre. Au plan individuel, il prône la liberté, le respect du corps, la recherche du bonheur sur terre par une diététique des désirs et des plaisirs... D'où sa philosophie résolument immanente, matérialiste et hédoniste : « Il ne faut pas désirer au-delà du possible. Si on se met à désirer l'impossible, il est très probable qu'on découvre du malheur ou de la souffrance. Il faut désirer selon ses possibilités, selon ses moyens. Si vous voulez être heureux, arrêtez de désirer l'impossible, désirez le possible et réalisez le possible. Un hédoniste désire ce qu'il peut réaliser et réalise ce qu'il désire. [...] L'hédonisme suppose une philosophie tragique : c'est parce que nous allons mourir, c'est parce qu'il n'y a pas de Dieu ou d'arrière-monde et d'idéologies du salut pensables et possibles qu'il faut construire une philosophie hédoniste », affirme-t-il pour mettre en garde contre un mauvais usage de l'hédonisme.

Ses séminaires

Docteur en philosophie et écrivain prolifique, Michel Onfray arpente les amphithéâtres du monde entier pour dispenser ses cours de philo ou tenir des conférences sur de nombreux problèmes de société. Pour ne parler que de la France et de l'Université populaire, il remplit les salles et bat les records d'audience. Ses cours sont parsemés de nombreuses digressions sur l'histoire, l'actualité ou la vie quotidienne – parfois par humour, parfois par provocation. Quant aux séances de questions-réponses, c'est là que le philosophe rebelle, le verbe facile, allie son talent inné de tribun à son métier de pédagogue dans des improvisations parfois interminables mais toujours enrichissantes tant au niveau du fond que de la forme : la problématique est abondamment traitée, puis les réponses sont subtilement synthétisées dans de courtes conclusions.

Ce sont particulièrement ces séances de questions-réponses – chaque vendredi – que je recommande aux non-initiés pour découvrir pourquoi Michel Onfray dérange tant et fascine en même temps ; elles sont souvent le théâtre de débats passionnants avec le public, composé majoritairement d'intellectuels de tous horizons : journalistes, professeurs, philosophes attitrés ou étudiants en philo, etc.

Démocratiser la philosophie, la rendre accessible à tous, donner à chacun ce qu'il appelle un décodeur pour comprendre la vie et en faire une oeuvre d'art comme nous y invitait déjà ses chouchous Démocrite ou Montaigne, tel est son credo. Il affirme ne pas vouloir convertir qui que ce soit à ses thèses, mais aider chacun à penser par soi-même afin de forger les siennes. Un peu comme la maïeutique de Socrate, qui entendait aider à accoucher les esprits ! Propos d'autant plus rassurants que, pour mettre en garde contre l'argument d'autorité, il déclairait : « La vérité n'obéit pas au charisme de celui qui la professe. » Un aphorisme digne d'une épreuve du bac philo qui peut être utilisé à la fois contre ceux qui veulent faire avaler n'importe quoi et contre ceux qui avalent n'importe quoi...

C'est l'unique occasion, pour celles et ceux qui sont intéressés par la philosophie – ou qui voudraient l'apprendre –, de découvrir gratuitement le philosophe qui, aujourd'hui, fait le plus parler de lui car, à la fin de chaque saison, les cours sont retirés du site de France Culture pour n'être plus disponibles qu'en librairie ou dans le commerce sous forme de coffrets de CD : c'est le cas des précédentes éditions (de 2003 à 2007).

Enfin, Michel Onfray étant un philosophe prolifique et engagé, la présente biographie n'a pas la prétention d'avoir présenté toutes les thèses de l'auteur, ni tous les champs de pensée couverts par son oeuvre (voir sa bibliographie), d'ores et déjà colossale pour quelqu'un qui est notre contemporain. Une monographie ne suffirait du reste pas. Vérité de La Palisse ! J'espère néanmoins qu'elle aura permis à chacun de graver dans le marbre l'essentiel des thèses qu'il défend, ce qui facilitera, pour les néophytes, la compréhension des séminaires.


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