UN PEU DE TOUT... BEAUCOUP DE RIEN
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Marie de Gournay
Marie le Jars de Gournay est une des femmes écrivains les plus remarquables de la fin de la Renaissance. Née à Paris en 1565, elle tire son nom du château et de la seigneurie de Gournay-sur-Aronde que son père, Guillaume le Jars (ou de Jars) avait acquis quelques années avant sa mort prématurée en 1578. Son oeuvre, bien qu'influencée par Montaigne, reflète un point de vue féminin captivant sur la société aristocratique de l'époque.

Un petit roman qu'elle avait composé à Gournay dans sa jeunesse, semble avoir été le point de départ des traités philologiques, politiques, philosophiques et moraux de Marie de Gournay. Elle a aussi produit d'excellentes traductions de plusieurs chants de l'Enéide et un recueil de poésies adressées à des personnages importants. La plupart de ses traités furent publiés séparément, mais, trois fois de son vivant, en 1626, 1634 et 1641, elle les réunit en un volume de plus de mille pages, intitulé d'abord L'Ombre de la Damoiselle de Gournay,et ensuite, à partir de 1634, Les Advis ou les Presens de la Demoiselle de Gournay. Cette oeuvre a été quasi ignorée jusqu'au vingtième siècle, mais avec la montée du féminisme, Marie de Gournay a repris sa place parmi les écrivains notables du passé. Le premier volume de ses oeuvres complètes (édition 1641) a paru pour la première fois à l'époque moderne chez Rodopi, en 1997. Le second volume de la même édition est sorti en 2002. Notons également la parution, cette même année, chez Champion d'une édition critique des oeuvres complètes.

Les détails assez rares que nous possédons sur l'enfance et la jeunesse de Marie de Gournay proviennent de ses quelques pièces autobiographiques. Si elle semble avoir passé sa petite enfance à Paris (son père y ayant rempli certaines charges officielles), en revanche sa jeunesse s'est déroulée au château de Gournay-sur-Aronde. Ses parents faisaient tous deux partie de la noblesse de province. La famille de son père était originaire de Jars, près de Sancerre. Sa mère qui était issue d'une famille de magistrats, décida d'établir définitivement sa famille à Gournay après la mort de son époux. Marie n'avait que treize ans à la mort de son père et était l'aînée de six enfants. Sa mère qui se souciait peu de dispositions intellectuelles chez une jeune fille, désirait simplement l'initier aux occupations "féminines" de la noblesse de l'époque. Mais Marie, loin de se résigner à son sort de jeune aristocrate oisive, décida d'apprendre le latin seule, à des heures dérobées, en comparant des textes originaux à leur traduction. Elle acquit même un peu de grec par la même méthode. C'est également à Gournay-sur-Aronde, alors qu'elle n'avait que dix-huit ou dix-neuf ans, qu'elle fit la découverte des Essais de Montaigne qui la "transsissoient d'admiration" dit-elle. Les Essais allaient jouer un rôle primordial dans sa carrière d'écrivain. Ils avaient été publiés pour la première fois en 1580 et n'avaient pas encore acquis de réputation solide. Où en avait-elle découvert un exemplaire? Elle ne nous le dit pas, mais on peut conjecturer que c'est dans la bibliothèque du château familial. La famille de Marie comptait, à n'en pas douter, des membres qui s'intéressaient aux lettres. Son grand-père maternel, le président de Hacqueville, était issu d'une famille d'intellectuels. Le frère de son père, Loys le Jars, avait écrit une pièce intitulée "La Lucelle" qui avait eu un certain succès.

Après sa lecture des Essais, le plus ardent désir de Marie fut de faire la connaissance de Montaigne. Ce souhait se réalisa lors du séjour de Montaigne à Paris en 1588. Gournay, alors âgée de vingt-trois ans, venait elle-même d'arriver à Paris avec sa mère qui espérait lui faire rencontrer un parti avantageux. Mais notre intellectuelle était bien plus intéressée à échanger ses idées avec l'auteur des Essais qu'avec les jeunes galants de bonne famille. Aussitôt qu'elle eut appris la présence de Montaigne à Paris, elle lui envoya un billet admiratif. Celui-ci, impressionné par l'enthousiasme de la jeune fille pour les Essais, alla lui rendre visite le lendemain. Il eut plusieurs entretiens avec elle et lui octroya bientôt le titre de "fille d'alliance". Dans les mois qui suivirent, Montaigne fit de longs séjours au château de Gournay. Le juriste Pasquier mentionne dans une de ses lettres qu'il y passa "trois mois, en deux ou trois voyages".

Marie de Gournay n'eut plus l'occasion de revoir Montaigne après cette rencontre fortunée, mais elle correspondit régulièrement avec lui. Montaigne mourut quatre ans plus tard, en 1592. Dans l'entretemps, Marie était allée s'établir à Paris. Elle avait essuyé un sérieux revers de fortune après la mort de sa mère. Celle-ci avait contracté de lourdes dettes pendant les guerres qui avaient empêché le payement de ses rentes habituelles. Dans son "Apologie pour celle qui écrit", Marie de Gournay explique en détails les difficultés financières qu'elle avait encourues à la suite du partage des biens familiaux. La fortune de la famille qui était florissante à la mort de son père, avait complètement périclité quelques vingt ans plus tard. Marie s'était alors fait un devoir de pourvoir à l'établissement de ses frères et soeurs plus jeunes, prenant même sur ses maigres ressources pour les aider. Son frère Charles, héritier du château et des terres de Gournay, finit par vendre la propriété à Jean de Creil, en 1608.

On n'a malheureusement pas retrouvé la correspondance de Marie de Gournay avec Montaigne, mais dans ses oeuvres complètes, parmi ses traités, se trouve un petit roman intitulé Le Proumenoir de Monsieur de Montaigne, qu'elle écrivit peu de temps après leur rencontre et qui traite de sujets repris avec plus d'ampleur dans les traités moraux. Ce roman avait été envoyé à Montaigne quelques jours seulement après son départ définitif du château de Gournay en 1588, et est précédé d'une épître qui lui est adressée.

Marie y mentionne l'avoir composé sous l'inspiration des conversations qu'elle venait d'avoir avec lui au sujet de l'amour dans l'oeuvre de Plutarque. Elle demande à Montaigne de lui pardonner son manque d'expérience comme écrivain et le prie de la corriger. Le roman est une histoire d'amour malheureux qui traite très sérieusement des devoirs du prince envers ses sujets et de l'importance de l'éducation pour les femmes. On ignore si Montaigne s'intéressa à cette oeuvre de jeunesse. Marie de Gournay la publia en 1594, après que la famille de Montaigne la lui eut renvoyée suite à la mort de l'écrivain. Il est évident que l'histoire eut du succès: elle fut republiée plusieurs fois du vivant de Gournay.

L'association de Gournay et de Montaigne ne se termine cependant pas ici. En même temps que la copie de son roman, la famille de Montaigne lui avait fait parvenir une copie des Essais de 1588, munie des dernières annotations de l'écrivain, et l'avait priée de se charger de leur publication. Marie se mit consciencieusement à la tâche. En 1595, elle offrit la première édition posthume des Essais, précédée d'une copieuse préface où elle défend les idées et le style de Montaigne. Elle donna encore de nouvelles éditions des Essais, en 1617 et 1635.
Le reste de la vie de Marie de Gournay se déroula à Paris où elle prit une part très active à la vie littéraire. Richelieu, impressionné par son savoir, lui octroya une petite pension. Dans ses traités, elle montre un vif intérêt pour toutes les questions littéraires et sociales importantes de son époque. Elle se plaint cependant souvent de la froideur de ses contemporains pour ses écrits, froideur due, souligne-t-elle, à son manque de fortune comme à son sexe. Il est vrai qu'elle avait osé ce que peu de femmes avaient osé avant elle: donner son opinion nette et franche sur des sujets qui étaient considérés alors comme le domaine exclusif des hommes. Ses traités fustigent la noblesse oisive du règne d'Henri IV, donnent des conseils aux grands, critiquent les pratiques douteuses de l'église et jugent la querelle du langage qui battait son plein au début du dix-septième siècle. Marie de Gournay se lança même, en 1610, dans l'énorme controverse au sujet de la culpabilité des Jésuites dans l'assassinat d'Henri IV. Sa défense des pères jésuites est un monument à la hardiesse de ses opinions. Son oeuvre, enfin remise à l'honneur aujourd'hui, lui donne une place toute particulière parmi les citoyens fameux de Gournay-sur-Aronde.