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Pourquoi les femmes sont folles
La sexualité des femmes pose un gros problème à ceux qui les maintiennent en état de manque. Dépression, neurasthénie, troubles mentaux… Détail révélateur: les vibromasseurs ont été créés en France dans le service du professeur Charcot, à la Salpétrière où l'on enfermait les "folles de l'utérus".

Il existe en Chine une légende ancienne relative à l’usage détourné d’un instrument de ménage : le battoir à vêtement. C’est l’histoire (rapportée dans le T’sien Han Chou) d’une femme qui attend son mari, prisonnier des Huns. A force de l’attendre, rongée par la frustration, elle se met à chercher un moyen d’exprimer son amour qui la soulage du manque… Alors, saisissant un battoir, elle tape sur le vêtement de son mari, préalablement enduit d’empois, afin de le lustrer… Chaque nuit, sur le toit de sa maison, elle frappe le vêtement de soie, en égrenant les secondes. Le son mat de ces coups traverse l’espace et propage –un millier de kilomètres plus loin– le message de tendresse jusqu’aux oreilles de l’absent. Il reconnait le bruit synonyme du foyer. Il sait que sa femme pense à lui, ce qui lui donne le courage de survivre. Pendant 19 ans, la femme, comme une aliénée, fait résonner les coups de battoir, jusqu’à ce que son mari lui revienne…

La légende est si belle qu’elle inspire les poètes. Au VIIe siècle après JC, l’empereur Yang-Ti loue ainsi l'épouse d’un ambassadeur envoyé en mission lointaine : “La nuit, en proie à la tristesse, elle ne trouve plus le sommeil. Elle s’occupe à coudre des vêtements au pied de sa lampe mourante et, sous la clarté de la lune d’automne, elle fait résonner le battoir.” Au IXe siècle, le poète Bai juyi écrit sur ce bruit de ce battoir : “Les nuits sont vraiment longues”. Au début du XVe siècle, le dramaturge japonais Zeami écrit l’histoire d’une femme qui devient hystérique à force d’attendre son époux. Au bout de trois années, pour “trouver l’apaisement”, elle se met à frapper du battoir sur le lit qui abritait leurs étreintes. Elle tape sur le vêtement de l’homme, répétant –sans le savoir– les gestes les plus symboliques du monde : ceux des silex que l’on heurte pour en faire jaillir l’étincelle, ceux du mortier et du pilon, ceux du tambour et du bâton, ceux du marteau qui imite la foudre… Elle tape, mais aucun battoir hélas ne remplacera le geste qui pourrait véritablement la soulager. Elle sombre dans la folie et meurt.

Il est toujours étonnant de voir qu’à travers les civilisations, les femmes en manque essayent de se satisfaire symboliquement, à l’aide d’ustensiles de ménage : les balais, les brosses, les battoirs, les machines à coudre, etc. Tous ces instruments auxquels la société associe la femme, elle les détourne de leur fonction primitive. Fourbissant les cuivres et frottant le cul des casseroles, certaines ménagères soulagent leurs nerfs en faisant reluire tout ce qui leur tombe sous la main. Celles que l’on appelle des “sorcières” s’envolent dans les airs, montées sur des balais comme sur des étalons imaginaires. D’autres encore font tourner la quenouille et manipulent des fuseaux pointus qui sont, dans les contes populaires, les métaphores transparentes des premières émotions sexuelles. Il y a aussi celles qui font trépider le pédalier de leur machine à coudre, comme si elles chevauchaient les “chevaux du désir”. Et puis il y a celles qui tapent, comme si elles pressentaient que le moyen le plus efficace d’accéder à la jouissance consistait à se marteler le corps, à se le faire vibrer de coups redoublés, pour entrer en résonnance avec ce sang qui bat en elles.

Au XIXe siècle, trouvant une solution technologique à ces besoins violents qui font des femmes des êtres incontrôlables, les scientifiques mettent au point des instruments permettant, officiellement, des les délivrer de leur neurasthénies, douleurs dentaires, congestions, hyperémie ou problèmes de circulation sanguine… Les publicités pour les vibromasseurs –essentiellement publiées dans les magazines de tricot- affirment que ces machines font disparaître jusqu’à la constipation. Aux Etats-Unis, “l’électrification des foyers progressa rapidement à partir de 1876, explique l'historienne Rachel P. Maines, dans une étude pionnière (Technologies de l'orgasme, éd. payot), et les femmes se révélèrent de bonnes consommatrices d’appareils électriques. Le premier appareil ménager à être électrifié fut la machine à coudre en 1889, suivie en l’espace de dix ans par le ventilateur, la bouilloire, le grille-pain et le vibromasseur. Ce dernier précéda l’aspirateur électrique de neuf ans, le fer électrique de dix ans et la poële électrique de plus d’une décennie, ce qui reflète peut-être l’ordre des priorités des consommateurs. A ma connaissance, la première réclame pour un vibromasseur fut celle du Vibratile, parue dans McLure’s en mars 1899, qui présentait l’engin comme une cure contre “la névralgie, la migraine et les rides”.

Il peut paraître étrange que les médecins et les savants aient développé à cette époque autant d’instruments destinés à faire jouir les femmes, alors qu’ils condamnaient parallèlement les auto-attouchements et le tribadisme. Pour Rachel Maines la réponse est pourtant simple. A cette époque, la masturbation étant réprimée, cela entrainait toutes sortes de désordre : privées de jouissance, les femmes entraient en crise, déprimaient ou somatisaient. La seule sexualité envisageable était celle qui convenait aux hommes, à savoir la pénétration génitale, “finalisée dans l’éjaculation”. Hélas, insiste Rachel Maines “les femmes n’ont, en majorité, aucun orgasme résultant de l’absorption du pénis dans le vagin.” Pour contrôler le sexe dit faible, les hommes avaient donc tout intérêt à mettre en place des “thérapies”, ce qui les avantageait doublement : d’une part ils transformaient les besoins naturels des femmes en maladies, d’autre part ils leur proposaient des “traitements curatifs” destinés à “maintenir l’ordre de la domination”. Le tour était joué… ou presque. Avec l’électrification des foyers, les vibromasseurs se démocratisent, hors du contrôle des médecins, et la sexualité féminine petit à petit s’affirme. Les femmes se “soignent” seules. C’est plus économique, et surtout, plus efficace. Paradoxalement, les instruments créés pour les maintenir sous contrôle ouvrent la voie d’une certaine indépendance. Et cette indépendance n’est pas sans faire peur…

Lorsque Rachel Maines fait des conférences, elle se heurte parfois à de violentes réactions : certains membres du public se sentent personnellement attaqués, comme si l’évocation même du vibromasseur était une forme de reproche masqué. Il y a des hommes qui craignent si profondément d’être remis en cause, qu’ils gardent, en l’écoutant le masque impassible à quoi elle reconnait les angoissés : “Les hommes se partagent entre les rieurs décontractés et les songeurs au masque impénétrable, dit-elle. Autant que je puisse en juger, les premiers trouvent dans ma recherche la confirmation que les femmes sont aussi excitables qu’ils l’espéraient. Les seconds, qu’elles le sont autant qu’ils le redoutaient.” Rachel Maines a le coup de griffe vengeur. Sa recherche lui a valu, il faut quand même le souligner, son poste et sa réputation. Quand elle commence à travailler sur ce thème, dans le milieu universitaire des années 80, on estime que ses recherches sortent trop de l’académisme. Plus concrètement, on s’inquiète fort de savoir si ces vibromasseurs ne vont pas finir par devenir indispensables à leurs utilisatrices, briser les couples, créer des phénomènes d’accoutumance et fournir aux femmes une source de plaisir impossible à concurrencer. Aucune étude historique sérieuse n’avait été, jusqu’ici, consacrée à ce sujet délicat.

La plus courante des réactions à laquelle Rachel Maines doit faire face tient généralement en une phrase : “Si vous dites vrai, alors les femmes peuvent se passer des hommes !”. A quoi elle répond : “Si le problème se résume à l’orgasme, alors les hommes aussi peuvent se passer des femmes”. La sexualité, heureusement pour nous, ne se résume pas à l’orgasme et ne se réduit pas aux corpuscules de Krause, dit-elle. La sexualité n’a pas pour but unique de procurer du plaisir, ni d’assurer la reproduction. Elle est tellement plus merveilleuse que cela et, selon toute évidence, elle se fait à deux. Alors, rassurés ?

Source: http://sexes.blogs.liberation.fr/...